Réplique

Éducation
Le mauvais temps, nous en sommes aussi responsables

En réponse à l’éditorial de Paul Journet, « L’argent ne change pas l’éducation, sauf que… », publié le 4 mai

Paul Journet reproche à la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) de « compléter le trio de responsables des ratés en éducation ». Il reproche également aux syndicats de traiter « les jeunes profs comme des bouche-trous », en soulignant que ce sont les « moins expérimentés qui écopent des mandats les plus difficiles ».

1. Responsable (adjectif et nom) :  qui doit rendre compte de ses actes

Encore faut-il que la FAE soit responsable de ces « mandats difficiles » pour qu’elle doive en rendre compte. Pour ce faire, il faut d’abord se poser une question fondamentale : qui décide de la formation de ces groupes si « difficiles » au Québec ? Sans le vouloir, ce texte ignore un fait indéniable : ce sont les commissions scolaires et les directions d’établissement qui forment les groupes, et non les syndicats d’enseignement.

L’on omet aussi un deuxième fait important : la classe ordinaire n’existe pratiquement plus dans le réseau public québécois. Au secondaire, les élèves en difficulté représentent désormais 30 % de tous les élèves. Aujourd’hui, certains profs doivent gérer une classe qui est composée de plus de 50 % d’élèves en difficulté.

En mars 2013, la FAE, soucieuse du bien-être de ses membres à bout de souffle et débordés, a mandaté les chercheurs et professeurs au département d’éducation et formation spécialisées de l’UQAM, Lise Bessette, Gérald Boutin et Houssine Dridi de mener une enquête sur les effets de l’intégration des élèves en difficulté en classe ordinaire.

Les conclusions de cette recherche indépendante, dévoilées en avril 2016, confirment que le Québec est allé trop loin dans son modèle d’intégration dans lequel tout le monde y perd, tant les profs que les élèves, avec ou sans difficulté.

Or, plutôt que de les soutenir comme le revendique la FAE, et comme le souligne l’économiste et professeur titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, Jean-Michel Cousineau, les choix budgétaires faits par le gouvernement entre 2010 et 2016 ont privé les écoles publiques du Québec de près de 1,5 milliard de dollars. Des centaines de postes de professionnels et de soutien ont été supprimés, des dizaines de classes spécialisées ont été fermées et les profs de la classe ordinaire doivent désormais composer avec de plus en plus d’enfants en difficulté sans qu’ils aient accès aux ressources et services nécessaires pour répondre à leurs besoins. Cette situation entraîne une surcharge de travail avec les conséquences néfastes que l’on connaît : épuisement, détresse psychologique, pénurie de personnel, désertion professionnelle, etc. Par ailleurs, M. Journet semble assimiler la combativité des membres de la FAE et leur courage de dénoncer les ratés en éducation à de la « rigidité extrême ». Enfin, il invite les responsables à lever leur « bouclier » pour que les choses changent. 

2. Bouclier (nom masculin) :  moyen de protection, défense

Depuis sa création en juin 2006, la FAE agit comme un acteur de changement au Québec. Grâce à ses larges consultations, ses analyses pointues, ses rapports exhaustifs, ses projets-pilotes novateurs, ses deux négociations nationales menées avec détermination, sa participation constructive à de nombreux comités et commissions parlementaires, la FAE contribue à améliorer le monde de l’éducation au Québec.

Lorsque l’intégration massive et désordonnée des élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation et d’apprentissage cessera au Québec, lorsque chaque élève en difficulté du Québec, jeune ou adulte, recevra les services dont il a besoin, lorsque les résultats qu’obtiennent certains des élèves ne seront plus maquillés pour répondre à des cibles de réussite, lorsque les profs seront considérés comme les premiers experts de la pédagogie et qu’ils disposeront de l’autonomie nécessaire pour accomplir leur travail, lorsque la société québécoise reconnaîtra la contribution exceptionnelle des profs au développement de la société, lorsque le gouvernement aura le courage politique de mettre fin au financement public des écoles privées, lorsque le gouvernement garantira aux écoles publiques, par voie législative, un financement régulier, continu, stable, comme le proposent les enseignantes et les enseignants, alors là, peut-être que la FAE lèvera son « bouclier ».

D’ici là, la FAE continuera de défendre fièrement les profs, leurs élèves et l’école publique. Nous pouvons même être responsables du mauvais temps, si certains le souhaitent, mais nous ne renoncerons pas à notre mission, malgré les procès d’intention.

Réponse de Paul Journet

Si je comprends bien votre logique, parce que vous ne choisissez pas la composition des jeunes dans les classes, vous n’avez aucune responsabilité dans le choix de la personne qui leur enseigne. Quel étrange raisonnement. Vous déplorez que la classe ordinaire n’existe pratiquement plus. Je suis tout à fait d’accord. Mais c’est une raison de plus pour ne pas laisser ces mandats si difficiles seulement aux recrues. Faut-il revoir la composition des classes ? Bien sûr. Mais l’un n’exclut pas l’autre. On peut réfléchir autant à la composition des classes qu’au partage des tâches chez ceux qui enseignent. En refusant de faire les deux en même temps, vous faites précisément ce que mon éditorial vous reproche. Vous utilisez le gouvernement comme un bouclier pour refuser d’examiner les autres défis. Mon éditorial souligne clairement les méfaits du sous-financement ainsi que de la ségrégation scolaire. Mais j’y ajoute qu’on ne doit pas s’arrêter à ces problèmes réels, sans examiner les autres causes de l’inquiétant taux de décrochage au Québec, particulièrement dans le réseau public francophone. Je suis très sensible aux difficultés vécues au quotidien par les enseignants. Je suis tout à fait d’accord qu’on doit d’urgence améliorer leurs conditions de travail. J’appuie donc en partie les revendications syndicales. Mais cela ne signifie pas que votre syndicat a tout le temps raison. Votre chute est tristement instructive. Vous laissez entendre à tort que je désigne la FAE comme principal coupable, en vous accusant « d’être responsable du mauvais temps ». Ce que je critiquais surtout, c’était votre refus obstiné de faire la moindre auto-critique. Hélas, avec cette réponse, vous le prouvez de façon éloquente.

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