OPINION MARIJUANA

La légalisation rend les psychiatres fous !

Bien sûr, pas tous, et pas seulement les psychiatres. Des médecins, des politiciens, des chroniqueurs aussi.

Avant même que le projet de légalisation du cannabis soit formellement annoncé par le gouvernement Trudeau, le débat faisait rage. Ce débat s’est intensifié au cours des dernières années pour faire place à celui non pas sur la pertinence de la légalisation, mais sur sa mise en œuvre. Malheureusement, certains semblent être restés accrochés au passé. C’est notamment le cas de l’Association des médecins psychiatres du Québec (AMPQ).

Bien sûr, les psychoses et les cas de schizophrénie sont très graves et affectent grandement les personnes touchées et leur entourage. Rappelons toutefois que les troubles psychotiques touchent moins de 3 % de la population. Et il y a plusieurs autres éléments à considérer, comme la criminalisation d’une masse d’individus qui constitue aussi une conséquence très grave. D’ailleurs, c’est actuellement plus de 40 % des jeunes de 18 à 24 ans qui consomment un cannabis sans assurance de qualité.

Une prudence qui prend le bord

Normalement, les psychiatres et leur association sont extrêmement prudents lorsque vient le temps de prendre position, en se basant de manière stricte sur les données probantes. Mais dans le cas de la légalisation du cannabis, cette prudence a pris le bord et l’AMPQ n’hésite pas à prendre position sur des enjeux qui débordent son champ d’expertise, où les données probantes sont rares, en ignorant celles qui existent, en étant en porte-à-faux avec leurs confrères spécialistes de la santé publique, et, plus gravement, en faisant exactement le contraire de ce que nous enseigne la science de la prévention, à savoir, faire peur, exagérer, dramatiser, ce qui est bien connu comme pouvant avoir des effets contraires à ceux visés.

On peut citer en exemple les nombreuses prises de position de médecins, de médecins psychiatres et de l’AMPQ, notamment sur l’âge légal d’accès au cannabis, qu’ils recommandent à 21 ans. Il s’agit là d’un cas patent où l’AMPQ est isolée face au consensus très fort en santé publique pour l’âge d’accès à 18 ans.

Il appert que l’AMPQ ne considère que la nocivité du cannabis pour éclairer sa position.

Et encore, car si on compare avec l’alcool, le cannabis est moins nocif à tous égards sauf peut-être ceux de santé mentale. Par exemple, davantage d’usagers développent une dépendance à l’alcool (16 %) qu’au cannabis (9 %). Pourtant, l’âge d’accès à 21 ans n’empêcherait pas davantage les jeunes de consommer que la prohibition, et il ne semble pas y avoir de catastrophe au Colorado, qui a adopté un modèle somme toute relativement laxiste.

Les cas de psychose et de schizophrénie existent déjà sous la prohibition. Le cannabis est très accessible aux jeunes, plus que le tabac, et rien ne permet de prédire que la consommation augmentera, contrairement à la prémisse de plusieurs et de l’AMPQ. Les experts le disent : ce n’est pas tant la légalisation en soi qui peut augmenter l’usage et les méfaits du cannabis, mais la commercialisation à outrance.

Et rappelons qu’on ne légalise pas le cannabis parce qu’il est bon pour la santé, mais parce que la prohibition est pire, et de loin.

Alors, qu’en est-il de la nocivité de la prohibition ? Un de ses dommages est la criminalisation et la stigmatisation institutionnalisée, qui nuisent grandement aux personnes aux prises avec des problèmes de consommation. Il faut cesser cette stigmatisation. Il s’agit d’ailleurs d’une des recommandations faites au forum d’experts sur l’encadrement du cannabis en juin dernier, ce à quoi a rétorqué la présidente de l’AMPQ : « Va-t-on banaliser le petit joint au déjeuner ? » Cette incapacité à reconnaître les autres conséquences que celles en lien avec la santé mentale et cette polarisation nuisent au débat.

Le summum a été atteint cet été alors que l’AMPQ a publié une lettre d’opinion intitulée « Léa et les tams-tams ». Cette lettre incarne ce contre quoi les experts de la prévention nous mettent en garde, soit une pure dramatisation sur la base d’anecdotes fictives.

Et récemment, ce sont les conférences dans les écoles du Dr Coulloudon, psychiatre à l’hôpital de Chicoutimi, qui m’ont poussé à écrire cette lettre. Probablement bien intentionné, le Dr Coulloudon exagère ou erre malheureusement sur plusieurs points et plans : « Tous les adolescents qui consomment ont le cerveau atrophié » ; « Quand t’es gelé, tu ne matures pas » ; « 100 % de mes patients ont consommé de la drogue » – comme si c’était une preuve de causalité –  ; « L’usage va augmenter suite à la légalisation ».

Malgré toutes les bonnes intentions dont l’enfer est pavé, ces discours sont contre-productifs et sont même susceptibles de créer de l’anxiété et des crises de panique chez les jeunes consommateurs.

Il fait peur à ceux qui ont déjà peur et il se discrédite auprès de ceux qui consomment, car ces affirmations ne correspondant pas à leur expérience. Ce comportement de la part de professionnels qui usent de l’effet de leur blouse blanche pour faire peur au monde est déplorable et révèle leurs propres projections personnelles et professionnelles, bien plus que des dangers objectifs de la substance, et encore moins de la légalisation. Un auto-examen de conscience est nécessaire !

* Jean-Sébastien Fallu est chercheur à l’Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal

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