La question du proprio

Faut-il craindre la coccinelle asiatique ?

Il aura fallu moins de 25 ans à la coccinelle asiatique pour passer du statut d’espèce inconnue en Amérique à celui d’espèce envahissante : les Cantons-de-l’Est y ont eu droit en premier, mais on en retrouve désormais jusqu’au Saguenay – Lac-Saint-Jean. L’ennui, c’est qu’elle aime beaucoup, beaucoup le confort de nos maisons. Portrait en sept temps d’une locataire qui est là pour rester.

1988

C’est en 1988, en Louisiane, que la première colonie établie en Amérique du Nord a été observée. Elle a été importée de bonne foi comme agent de lutte biologique contre les pucerons, sans imaginer qu’elle s’adapterait aussi bien à nos climats, explique Marjolaine Giroux, entomologiste à l’Insectarium de Montréal. Or, la bestiole a migré rapidement vers le nord. Elle a été détectée pour la première fois au Québec en 1994, dans un verger de Frelighsburg. Cette année, on en a retrouvé au Saguenay – Lac-Saint-Jean. Il faut dire que la coccinelle se reproduit très vite, vit plusieurs années et mange beaucoup : jusqu’à 500 pucerons par jour !

MAISONS

En Asie, quand arrive l’automne, c’est dans les cavernes, les grottes et autres abris naturels que la coccinelle asiatique trouve refuge pour passer l’hiver. Au Québec, comme les températures sont plus froides, elle a modifié ses habitudes et découvert que la chaleur tempérée de nos maisons lui convenait nettement mieux. Le problème de la prolifération des coccinelles asiatiques dans les résidences est donc surtout nord-américain et, heureusement, ne dure que quelques semaines. Une fois bien nichées dans les murs, elles hiberneront pour l’hiver et ne devraient plus vous déranger avant le prochain redoux.

122

Comment savoir si l’on a affaire à une coccinelle asiatique ou à une coccinelle autochtone ? Si, dans son territoire d’origine, elle se montre particulièrement coquette et peut arborer jusqu’à 122 robes différentes, en Amérique du Nord, elle est généralement soit orange, soit rouge, et son dos couvert de 1 à 20 points noirs. Elle est plus grosse que les espèces du Québec – jusqu’à 7,5 mm – mais surtout, c’est la seule espèce qui s’infiltre dans les maisons à l’automne. Mieux adaptées à notre climat, les autres passent l’hiver dehors.

EXTERMINER

L’arme la plus efficace, et la plus facile, pour se débarrasser des coccinelles asiatiques est l’aspirateur, affirme Marjolaine Giroux, entomologiste à l’Insectarium de Montréal. « On les aspire et on les relâche dehors, l’automne, ou dans un autre abri à l’hiver, pour ne pas qu’elles meurent », dit l’experte. On se retiendra de les écraser, car elles rejettent alors un liquide tachant et nauséabond. Et puis, elles sont généralement si nombreuses qu’on ose à peine imaginer le temps que cela prendrait. Prévenir est encore la meilleure option : pour ce faire, il faut les empêcher d’entrer en colmatant toutes les fissures, en réparant les moustiquaires, en calfeutrant le cadre des portes et des fenêtres, les crevasses dans le revêtement extérieur de la maison et les fondations.

« C’est dans les vieilles maisons qu’on constate les plus gros problèmes, parce qu’elles sont moins étanches », remarque Marjolaine Giroux. Parce qu’elles affectionnent les murs clairs, exposés au soleil, les propriétaires aux prises avec les invasions les plus importantes peuvent envisager de repeindre une façade. Aucun pesticide n’est homologué au Canada pour lutter contre la coccinelle asiatique.

DANGER

Qu’on se rassure, la dangerosité des coccinelles asiatiques n’est pas proportionnelle à leur extraordinaire capacité de reproduction. Elle est même nulle. « Elle mord parfois, mais c’est très rare et elle ne transmet pas de maladie », dit Marjolaine Giroux.

SURABONDANCE

Si la coccinelle asiatique ne cesse de gagner du terrain depuis son introduction, elle a été particulièrement abondante cet automne. Les températures douces des dernières semaines l’ont favorisée, mais surtout un surplus de sa nourriture favorite : le puceron du soya. « Plus la coccinelle a de nourriture, moins il y a de cannibalisme entre les larves, et meilleurs sont les taux de survie », explique Annie-Ève Gagnon, entomologiste au Centre de recherche sur les grains (CEROM). Faut-il s’en inquiéter ? « Nous, on l’adore, car elle permet de réduire l’utilisation d’insecticides, et j’aimerais que les gens en fassent autant pour cette raison », dit Annie-Ève Gagnon. Cela dit, cette prolifération pourrait nuire aux espèces indigènes. « On ne l’a pas démontré au Québec, mais des études l’ont fait aux États-Unis, note Annie-Ève Gagnon. On peut craindre une perte de la biodiversité ici. »

D’AUTRES ESPÈCES À SUIVRE

Mauvaise nouvelle : après la coccinelle asiatique, voilà qu’une nouvelle espèce d’insecte non indigène prend l’habitude de se réfugier dans nos maisons l’hiver : la punaise occidentale des cônes, originaire de la côte Ouest. Bonne nouvelle : elle est nettement moins populeuse (on en retrouve rarement plus de deux ou trois par maison, note Marjolaine Giroux), elle ne pique pas et ne menace pas la santé des arbres (elle nuit toutefois aux producteurs de conifères puisqu’elle se nourrit de leurs semences). Les experts du CEROM surveillent aussi de près l’arrivée de la punaise marbrée, une espèce exotique envahissante potentiellement très nuisible pour les récoltes et qui passe aussi ses hivers dans les maisons. « Nos projections nous indiquent qu’elle pourrait très bien s’adapter ici », prévient Annie-Ève Gagnon.

Dans le doute, notez que l’Insectarium de Montréal offre un service gratuit d’identification des espèces.

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