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Édition du 24 février 2019,
section ACTUALITÉS, écran 13
Que se cache-t-il sous la glace de l’Antarctique ? Dans l’ouest du continent, les géophysiciens s’intéressent de près à deux ou trois arêtes rocheuses hautes d’un demi-kilomètre et dissimulées par la glace. Ces arêtes pourraient servir de frein au glissement du glacier Thwaites dans la mer.
« Il est assez compliqué de comprendre le relief sous la glace », explique Jonathan Kingslake, de l’Université Columbia à New York, qui a participé à deux expéditions sur le Thwaites. « Il faut installer des explosifs à des endroits stratégiques sur le glacier et surveiller comment les ondes se propagent avec des radars. Nous avons réussi à comprendre qu’il y a une ou deux arêtes majeures, hautes de 500 m, près de la ligne d’ancrage sur la terre ferme, et au moins une autre de la même taille sous la portion flottante du glacier. Nous devons maintenant comprendre quel est leur impact sur la vitesse de déplacement des différentes zones du glacier. »
Des eaux chaudes sont poussées sur les rives de l’Antarctique par un courant circumpolaire. « Elles pénètrent sous le glacier parce qu’à cet endroit, les rives du continent sont situées sous le niveau de la mer », explique Frank Nitsche, océanographe à l’Université Columbia qui a lui aussi fait deux expéditions sur le Thwaites. « Ça forme des bras de mer qui font fondre le glacier. Mais il n’est pas clair que ça augmente le glissement du glacier vers l’océan, à cause des arêtes sous-marines. Il est encore plus difficile de déterminer le relief sous-marin sous la portion flottante du glacier. On va envoyer des drones, mais c’est une technologie qui n’a pas encore été beaucoup utilisée sous les glaces. Il y a des problèmes de batterie, notamment. » Pietro Milillo, géophysicien au Jet Propulsion Laboratory de la NASA, vient de calculer à partir d’images satellites que la vitesse de déplacement de la portion flottante du glacier Thwaites est très inégale : certaines zones fondent dix fois moins vite que d’autres. « C’est un casse-tête de modélisation, dit M. Milillo. Il faut voir si les portions plus lentes ralentissent le glacier ou alors si elles créent des tensions pouvant mener à une rupture. » L’étude du chercheur d’origine italienne a été publiée à la fin de janvier dans la revue Science Advances.
30 millions de kilomètres cubes
Quantité de glace en Antarctique
2 millions de kilomètres cubes
Quantité de glace en Antarctique occidentale
2,6 millions de kilomètres cubes
Quantité de glace au Groenland
5000 km3
Quantité de glace que le Groenland a perdue entre 1992 et 2015
2000 km3
Quantité de glace que l’Antarctique a perdue entre 1992 et 2015
6 m
Augmentation du niveau de la mer si toute la glace du Groenland fondait
20 m
Augmentation du niveau de la mer si toute la glace de l’Antarctique fondait
Source : Commission européenne
Pour compliquer le tout, des lacs d’eau douce sont situés sous le Thwaites. « Ce sont des lacs qui sont isolés depuis des millénaires, et qui n’ont pas gelé pour des raisons qu’on comprend mal, dit M. Kingslake. Leur influence sur le mouvement du glacier vers la mer est très mal comprise : dans certains cas, ils accélèrent le mouvement, dans d’autres, non. » Ces lacs sont détectés grâce à un mouvement vertical anormal de la surface du glacier.
En septembre, dans la revue Cryosphere, des chercheurs de la Collaboration Thwaites ont proposé un plan d’urgence au cas où les analyses finiraient par montrer son effondrement imminent ou inéluctable. Il s’agit de construire des arêtes artificielles de gravier et de roche, avec un volume de matériel dépassant le million de kilomètres cubes, l’équivalent de la quantité de terre excavée pour construire le canal de Suez au XIXe siècle. « Le Thwaites est un bouchon naturel pour les glaces de l’Antarctique occidental, explique M. Kingslake. S’il saute, elles vont toutes suivre le même chemin tôt ou tard. » Pense-t-il voir un tel effondrement catastrophique de son vivant ? « Non, on parle de voir des signes clairs d’ici 2100, mais ça prendrait des siècles seulement pour le Thwaites. »
Une question envoyée par Yannice Benazzouk et Antoine Gamache de la classe de troisième secondaire de l’enseignante de sciences Dominique Simard, du Collège Laval, à Laval
« Comment la fonte des glaces affectera-t-elle le Québec dans les prochaines années ? »
Le groupe de recherche Ouranos, à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), se penche depuis près de 20 ans sur la question de l’impact des changements climatiques sur la province. En 2016, Ouranos a publié plusieurs rapports sur les impacts sur le Québec maritime. Celui sur les îles de la Madeleine faisait état de pertes de plusieurs dizaines de millions de dollars si rien n’était fait pour s’adapter aux changements climatiques. Ce n’est pas tant la simple hausse du niveau de la mer (de 30 cm à 1 m entre 2000 et 2100, selon diverses sources) qui posera problème ; les tempêtes seront surtout plus dévastatrices sur les côtes, parce qu’il y aura moins de glace dans le golfe, la glace faisant office de brise-lame. Heureusement, il existe des solutions, comme l’enrochement et la recharge régulière du sable et du gravier des plages, selon le rapport d’Ouranos.
— Mathieu Perreault, La Presse