Chronique

Boycotter les boycotteurs d’Israël ?

L’historien israélien Shlomo Sand a longtemps dénoncé les appels au boycottage et aux sanctions contre l’État hébreu. Dans un article paru le 13 février dans le quotidien Haaretz, il explique pourquoi il a changé d’avis.

« Une population privée des droits civiques élémentaires vit depuis près d’un demi-siècle à deux pas de nos foyers de Tel-Aviv et de Haïfa », écrit-il, faisant bien sûr référence aux Palestiniens habitant les territoires occupés par Israël depuis 1967.

Or, poursuit-il, « la vaste majorité de la société israélienne approuve le fléau de l’occupation ou y réagit avec apathie ». Je paraphrase un peu, mais en gros, Shlomo Sand est parvenu à la conclusion que le recours au BDS (sigle de la campagne de « boycottage, désinvestissement et sanctions ») est peut-être l’ultime façon de faire pression sur cette majorité plus ou moins silencieuse. Et de l’amener à lever le contrôle qu’Israël impose à ses voisins palestiniens.

À ceux qui affirment que le mouvement BDS vise à détruire Israël, il répond que les sanctions n’ont pas détruit l’Afrique du Sud, bien au contraire, elles ont contribué à la détourner de ses démons en abolissant le régime de l’apartheid.

Cet article, qui se présente comme une réponse à l’actuelle montée des tensions entre Palestiniens et Israéliens, a été publié dans un grand journal israélien. Son auteur a été libre d’exprimer cette opinion même si elle va à l’encontre de ce que pensent la plupart de ses concitoyens.

Mais les mêmes idées exprimées au Canada pourraient exposer leur auteur à un blâme d’Ottawa !

Voilà qui illustre l’absurdité de la résolution votée hier par la Chambre des communes, à l’initiative du député conservateur Tony Clement – et avec l’appui réservé des libéraux.

Le texte de la résolution rappelle l’amitié qui unit le Canada et Israël, avant de demander aux parlementaires de rejeter la campagne BDS parce qu’elle « encourage la diabolisation et la délégitimation de l’État d’Israël ». Et de demander au gouvernement de « condamner toute tentative de la part d’organismes, de groupes ou de particuliers de promouvoir le mouvement BDS ici et à l’étranger ».

En d’autres mots, la motion amalgame les sanctions et la diabolisation. Ceux qui veulent sanctionner les politiques de colonisation de la droite israélienne sont forcément des antisémites qui souhaitent la désintégration d’Israël : ce n’est pas formulé comme ça, mais c’est ce que cela sous-entend.

C’est oublier que le mouvement BDS emprunte différentes formes et rassemble des dizaines d’organisations, parmi lesquelles s’expriment également des voix juives. Certains refusent d’acheter les produits fabriqués dans les colonies qu’Israël continue de construire dans les territoires palestiniens, au mépris des lois internationales.

Un mouvement de pression qui a déjà incité la société israélienne Soda Stream, fabricant des populaires appareils de gazéification de l’eau, à se relocaliser à l’intérieur des frontières de 1967.

D’autres prônent un boycottage plus large, allant jusqu’à couper les liens avec toute institution israélienne.

La motion conservatrice met tout ce beau monde dans un seul et même paquet, celui des ennemis d’Israël.

Depuis novembre, les pays de l’Union européenne (UE) sont tenus d’identifier les produits originaires des implantations juives en territoires palestiniens. Même si l’UE s’en défend, les nouvelles règles d’étiquetage peuvent faciliter le boycottage des produits des colonies. Au Canada, une telle politique d’étiquetage tomberait-elle automatiquement sous le coup de la « condamnation » adoptée hier ?

Le Nouveau Parti démocratique a voté contre la motion anti-BDS, pas sur le fond, mais au nom de la liberté d’expression. On peut être d’accord ou non avec l’idée d’utiliser ce genre de pressions contre Israël, les voix en faveur de la campagne de boycottage devraient pouvoir s’exprimer en toute légitimité, a résumé Hélène Laverdière, critique néo-démocrate en matière de politique étrangère.

C’est à reculons que les libéraux, eux, ont appuyé la motion anti-boycottage.

Le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, s’est dit en désaccord avec l’idée de boycotter Israël – tout en précisant qu’il y a des gens bien intentionnés dans les rangs des promoteurs de la stratégie BDS. Et en reprochant aux conservateurs d’avoir voulu semer la zizanie. Mais bon : la motion a été votée grâce à l’appui des députés libéraux.

Aujourd’hui, on peut se demander quelles seront au juste les conséquences de ce vote. Il y a trois mois, la justice française a décrété que tout appel au boycottage anti-israélien est carrément illégal. Le Canada suivra-t-il l’exemple ? Les voix en faveur du boycottage se retrouveront-elles sur une liste noire ? Les organisations pro-BDS se feront-elles supprimer leurs fonds ?

Devant l’impasse du dossier israélo-palestinien, il y a actuellement un vaste débat international opposant les « pro » et les « anti » boycottage. L’un des arguments des « anti », c’est que cette stratégie n’est pas efficace et ne contribuera pas à la paix. C’est notamment ce que dit Stéphane Dion – qui s’est par ailleurs distingué de l’ancien gouvernement conservateur, le mois dernier, en critiquant la politique de colonisation d’Israël.

Mais en fonçant la tête la première dans le piège que lui ont tendu les conservateurs avec cette motion dont le rejet l’aurait fait passer pour un ennemi d’Israël, il a raté une occasion de bien marquer le changement de cap d’Ottawa face à la droite israélienne qui mène son pays à sa perte.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.