OPINION BOUCAR DIOUF

Le repenti des Mille et une nuits

Je dois avouer que je fais partie de ceux que tout ce gonflement médiatique sans nuance hérité de la culture américaine dérange profondément.

Mais entendons-nous bien, je ne minimise pas ici la pratique du blackface. Disons même que j’ai appris de mes erreurs sur le sujet. Il y a quelques années, Mario Jean m’a imité dans un gala en se maquillant la face, comme Justin. Assis chez moi, j’ai rigolé devant ma télé en le voyant rouler ses « r » pour africaniser son accent.

Le lendemain, mon téléphone n’a pas arrêté de sonner et des radios de l’anglophonie canadienne, mais aussi de Montréal, voulaient que je condamne sévèrement ce qu’ils considéraient comme l’insulte suprême. Comme l’intention de Mario n’était qu’une amicale façon de m’inclure, j’ai refusé de le faire, ce qui m’a valu une pluie de marde dans les médias asociaux.

À l’époque, comme la grande majorité des Québécois y compris Mario Jean, je ne savais pas ce qu’était un blackface. Une ignorance avouée dans une émission de télé qui m’avait valu un autre char de marde d’un océan à l’autre. Aujourd’hui, je sais ce qu’est un blackface et si c’était à refaire, je nuancerais davantage mes propos de l’époque pour ménager la sensibilité des gens que cette pratique d’une autre époque rebute à juste raison.

Mais je continue de penser qu’on ne peut évacuer l’intention de l’équation quand vient le temps de lapider publiquement un coupable.

Je continue aussi de me méfier des militants de la pureté absolue ; de ceux qui font la promotion de la tolérance par des méthodes d’exclusion ; de ceux qui parlent d’ouverture en réclamant toujours plus de barrières ethno-racialo-religieuses ; de ceux qui portent des lunettes de vision sélective qui les amènent à voir du racisme partout ; de ces gens pour qui un simple maquillage sorti du passé sans intention malicieuse est suffisant pour mériter une place de l’autre côté des murs de la cité, qui séparent les bons des infréquentables.

Tous ces militants trop extrémistes me font peur, car ils ne se rendent pas compte que leurs méthodes finissent par créer de la fermeture, y compris dans le cœur des gens qui étaient jadis très sympathiques à leur cause.

Ils me font peur, car leurs façons de militer sont incompatibles avec un vivre-ensemble symbiotique. Au lieu de tirer violemment sur tout ce qui leur semble insultant, ils gagneraient à adopter une guerre chirurgicale en contestant les véritables intentions de la cible avant de dégainer.

Pourquoi ne pas aussi faire de la douce pédagogie sur ces sujets ? Nombreux sont encore aujourd’hui les gens qui ne comprennent pas pourquoi ces images heurtent vraiment beaucoup d’afrodescendants. Je pense ici à ceux qu’on entend se braquer hermétiquement en disant que le Québec n’a pas la culture historique des États-Unis pour qu’on y célèbre ce racisme crasse. Un argument qui est vrai en partie seulement. Le Québec n’est peut-être pas la patrie d’origine du blackface, mais dans un passé assez récent, les grosses blagues réductrices sur les Noirs y étaient bien audibles et normales à la télé.

Aujourd’hui, les esprits ont cheminé, mais je parie qu’on peut faire encore mieux, car il reste du travail à faire. Désormais, il ne viendrait jamais à l’idée d’un producteur de maquiller un Blanc pour jouer un Noir ou un autochtone à la télévision québécoise. C’est déjà un grand pas.

Mais si on veut avancer plus vite, il faudra aussi éviter de garder les yeux sur le rétroviseur et continuer de juger ce qui s’est passé hier avec les croyances et les valeurs sociétales d’aujourd’hui.

Les blagues et les personnages que faisait Normand Brathwaite à ses débuts, les maquillages de Rock et Belles Oreilles, les textes d’Yvon Deschamps sur les ethniques ne peuvent pas être détachés de leur contexte social et de leurs intentions initiales pour être diabolisés en vertu de nos certitudes d’aujourd’hui.

Dans le cas de Trudeau, cette contextualisation devrait s’appliquer aussi. Je suis de ceux qui croient que Justin n’est pas du tout raciste et que ses intentions dans ces déguisements devaient bien plus à son amour du théâtre qu’à un désir incarné de blesser.

Ceci dit, il faut aussi reconnaître que Justin est tombé dans son propre piège. Je parle ici de son insatiable besoin de racoler le vote des communautés grâce au mimétisme culturel. C’est aussi le même Justin qui, du haut de sa grande pureté, a toujours sermonné ceux qui osent critiquer l’idéologie multiculturaliste dont il s’est proclamé le grand apôtre. 

Vous connaissez l’histoire du prêtre pris en flagrant délit de taponnage de bedeau juste avant la messe dominicale, où il moralise habituellement ses fidèles sur la nécessité d’avoir des mœurs irréprochables ? C’est la même chose que traverse Justin, et je crois qu’il mérite en partie ce qui lui arrive. Ironie du sort, c’est l’exception québécoise qui le fait tant rager qui explique aussi que les gens d’ici le défendent très majoritairement là où une grande partie de l’élite médiatique et intellectuelle de l’anglophonie canadienne réclame sa peau.

Le plus grand drame de Trudeau dans cette histoire, c’est d’avoir perdu la virginité de son image planétaire très léchée. Un drame qui a certainement bien plus à voir avec sa carrière ratée de comédien qu’à des préjugés envers les Noirs.

S’il y a une seule chose que ces images nous apprennent, c’est que l’amour des déguisements de Trudeau est bien antérieur à son voyage en Inde.

Puisqu’il appelle pour s’excuser auprès des Noirs, pour terminer, je dois dire à Justin qu’il a mon pardon. Sauf pour le fait qu’il semble s’être « renchaussé » la braguette avec une chaussette dans sa vidéo où la caméra descend rapidement sur son entrejambe. Bon, peut-être éprouve-t-il aussi simplement un plaisir jouissif à se déguiser.

Quoi qu’il en soit, ce « black bite » dont personne ne parle et qui flatte même parfois l’ego des militants les plus chevronnés de la cause est aussi une méprisante discrimination enracinée dans les idéologies racistes et colonialistes européennes. Pour son absolution complète, il faudra donc que Trudeau lise le bouquin de Serge Bilé intitulé La légende du sexe surdimensionné des Noirs.

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