Citoyen abattu par le SPVM

« Il a pété sa coche comme jamais auparavant »

L’homme abattu par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) mardi soir dans un logement social faisait l’objet d’un ordre d’expulsion de la Régie du logement à la suite de plaintes répétées de voisins. Pierre Coriolan, qui avait un lourd passé de consommation de cocaïne et d’héroïne, était en proie à une psychose lorsque les policiers sont intervenus, affirment des voisins.

Depuis 2011, le Bureau du coroner a enquêté sur trois autres cas semblables de personnes souffrant de problèmes de santé mentale ou sans-abri qui sont tombées sous les balles de policiers du SPVM.

Le drame s’est produit peu après 19 h mardi, lorsque l’homme de 58 ans a « pété sa coche comme jamais auparavant », affirme Martin, un voisin de palier qui dit avoir vu la scène. « Il s’est mis à tout détruire, à lancer des haut-parleurs, des radios, des outils, tout ce qui pouvait lui tomber sous la main. À un moment donné, il a sorti ce qui semblait être un couteau. Les policiers ont tiré. À mon avis, ils n’étaient pas fautifs du tout », estime l’homme de 51 ans, qui a préféré taire son nom de famille.

« C’était un gars qui se parlait souvent à lui-même, à haute voix. Parfois, il criait très fort. Mais ce n’était pas quelqu’un de violent envers les autres locataires », indique Guy, un des résidants de l’OSBL d’habitation de la rue Robillard, où le drame s’est produit.

Cinq voitures de police ont été dépêchées sur les lieux. L’homme tenait un tournevis dans chaque main à leur arrivée. Le Bureau des enquêtes indépendantes, qui a pris l’enquête en main, indique que les policiers du SPVM ont d’abord tenté de maîtriser M. Coriolan avec un pistolet électrique, puis avec des balles de plastique, mais en vain. Les policiers ont alors utilisé leur arme de service, atteignant l’homme à plusieurs reprises.

« Le premier policier qui est entré dans l’immeuble était un solide gaillard. On a d’abord entendu deux coups de feu, puis trois autres par la suite. »

— Jacques, un voisin qui habite à proximité du HLM

« J’ai trouvé que ça s’est fait de façon un peu expéditive, commente-t-il. Il me semble qu’il y a d’autres solutions. Ils auraient pu lui tirer une balle dans la jambe. »

Pierre Coriolan avait un dossier criminel bien étoffé. Il a plaidé coupable à des accusations de possession de cocaïne, d’héroïne et de marijuana par le passé. Il a également été accusé de harcèlement criminel, d’introduction par effraction et de non-respect de conditions.

Ordre d’expulsion

En juin dernier, la Régie du logement a ordonné son expulsion du logement qu’il louait depuis 2008 dans l’OSBL du quartier dans l’arrondissement de Ville-Marie, près du Village gai. « Un voisin est aussi venu relater [lors de l’audience] qu’il a requis un changement de logement en raison des comportements du locataire qui crie, dérange, ouvre et ferme constamment sa porte. »

Les pompiers avaient dû intervenir à deux reprises dans son appartement en 2016, à cause d’aliments qui brûlaient dans un chaudron. 

« À la deuxième intervention, vu l’absence du locataire, il a fallu défoncer la porte pour pénétrer à l’intérieur et s’assurer de la sécurité des lieux. Chaque fois, les autres locataires de l’immeuble sont évacués. »

— Extrait de le décision de la Régie du logement

Un voisin cité dans le jugement affirmait que « les dérangements étaient continuels et réguliers (4 nuits par semaine) ». Il ajoutait que « lors d’une intervention pour un feu dans le logement du locataire, il a vu ce dernier (Pierre Coriolan) qui quittait subrepticement ».

Une intervenante en soutien communautaire a aussi expliqué devant la Régie qu’elle a « tenté des approches auprès du locataire qui tenait un discours étrange et a jugé bon de faire intervenir le service d’urgence psychosociale du CLSC. Il n’y a pas, à sa connaissance, eu de suite à cela ».

Plusieurs des résidants de l’immeuble ont des problèmes de santé mentale ou de consommation de drogue, ont indiqué hier quatre personnes du voisinage rencontrées sur place.

Une travailleuse sociale était présente hier pour rencontrer des locataires.

« Il y a beaucoup de gens space dans le secteur, mais le pire problème auquel on est confrontés, c’est la drogue. On ramasse très souvent des seringues dans notre entrée. Des gens viennent aussi déféquer dans notre cour. Il y a une piquerie à trois coins de rue d’ici. C’est vraiment un secteur chaud », affirme un voisin.

Réaction du SPVM

Interrogé par La Presse, hier, le directeur du SPVM, Philippe Pichet, a rappelé que les policiers disposent de davantage d’outils qu’auparavant pour traiter avec les personnes en situation de crise, dont l’Équipe de soutien aux urgences psychosociales composée de policiers et d’intervenants sociaux et la formation RIC (réponses en intervention de crise). 

« On a quand même mis des choses en place pour être plus performants en réponse à ce type d’incident là », a affirmé M. Pichet. 

« On est loin du temps où le policier avait juste une lampe de poche et une arme à feu. […] Mais c’est sûr que si on peut encore améliorer les choses, on va le faire. »

— Philippe Pichet, directeur du SPVM

Le chef du SPVM a par ailleurs indiqué qu’on n’enseignait pas aux policiers à tirer dans les jambes lors de situations instables. « Quand on est dans un événement où il y a de l’adrénaline, où tu fais face à une situation de danger, ce n’est pas une chose qu’on enseigne de tirer dans les jambes. Ce n’est pas si évident que ça. » 

Le Bureau des enquêtes indépendantes a mobilisé une douzaine d’enquêteurs pour faire la lumière sur l’événement. 

La Fédération des OSBL d’habitation de Montréal, propriétaire du logement, n’a pas répondu à nos demandes d’entrevue.

— Avec Sylvain Larocque, La Presse

Alain Magloire

« Un échec du réseau de la santé »

Les coroners du Québec ont formulé plusieurs recommandations, ces dernières années, pour prévenir des décès semblables à celui survenu mardi soir.

L’itinérant Alain Magloire avait menacé des policiers avec un marteau avant d’être abattu de plusieurs balles, en février 2014, après une poursuite au centre-ville de Montréal. Le coroner Luc Malouin avait conclu à « un échec du réseau de la santé ». « C’est épouvantable, tous travaillent en silo », avait-il affirmé. Le coroner avait recommandé qu’il y ait davantage de pistolets électriques disponibles pour les policiers du centre-ville, ainsi que des formations accrues pour les policiers et des équipes spécialisées en interventions psychosociales.

Mario Hamel et Patrick Limoges

« Méthodes plus douces, moins coercitives »

En juin 2011, les policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) avaient été appelés à intervenir auprès d’un itinérant en crise qui éventrait des sacs d’ordures avec un couteau. Les policiers ont d’abord aspergé Mario Hamel de gaz poivre, mais n’ont pas réussi à le maîtriser, et le suspect les a alors menacés de son couteau. Les policiers ont ouvert le feu, abattant Hamel, mais aussi un passant, Patrick Limoges, qui a reçu une balle perdue. Le coroner Jean Brochu avait par la suite recommandé au SPVM d’utiliser des « méthodes plus douces, moins coercitives » que les armes à feu pour maîtriser des personnes en crise.

Farshad Mohammadi

Mauvaise arme, mauvaise intervention

En janvier 2012, à la station de métro Bonaventure, ce sans-abri souffrant d’hallucinations et de délires paranoïdes attaque un policier avec une lame d’exacto. Les policiers tentent plusieurs fois de le maîtriser. Devant son refus d’obtempérer, ils finissent par tirer. Le coroner Jean Brochu conclut que l’utilisation d’un pistolet à décharge électrique « n’aurait certainement pas causé plus de dommages que n’en a fait le pistolet de 9 mm ». « Encore une fois, il faut déplorer la mort d’une personne souffrant d’un problème de santé mentale. Encore une fois, des policiers se sont retrouvés en première ligne d’intervention auprès d’une personne nécessitant des soins de santé et des services sociaux plutôt qu’une intervention policière », conclut le coroner.

Donald Ménard

« Les policiers ont utilisé les moyens appropriés »

En novembre 2013, Donald Ménard a été abattu par les policiers dans une maison de chambres de la rue Saint-André, à peine 24 heures après s’être évadé de l’Institut Philippe-Pinel. Le coroner Jean Brochu a conclu que l’homme de 41 ans, qui a disjoncté après avoir consommé de l’alcool et de la drogue, est probablement mort des suites d’une décharge de pistolet électrique utilisé par les policiers. « Faisant face à un individu sans arme, probablement très perturbé, mais qu’il fallait immobiliser, les policiers ont utilisé les moyens appropriés : la force physique de quatre agents s’avérant insuffisante », concluait son rapport.

Robert Hénault

« Un protocole pour l’utilisation de caméras personnelles »

En juillet 2013, les policiers du SPVM sont appelés pour secourir ce septuagénaire souffrant de problèmes pulmonaires qui a tenu des propos suicidaires lors d’une conversation avec son médecin. En défonçant la porte de sa résidence, ils découvrent l’homme ensanglanté qui tient un couteau, près de son chien également blessé. Ils lui demandent à plusieurs reprises de lâcher le couteau. Devant son refus, ils lui tirent une balle dans une jambe. L’homme meurt quelques jours plus tard. Le coroner Paul G. Dionne critique sévèrement le travail d’enquête fait par la suite par les policiers et recommande au ministère de la Sécurité publique d’établir un protocole pour l’utilisation de caméras personnelles dans les interventions policières.

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