Chronique

1666 $ pour débrancher le téléphone : pardon ?

Qu’un client de Télébec soit contraint de verser des frais de résiliation de 1666 $ pour débrancher son téléphone, ça me fait dresser les cheveux sur la tête. Mais que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) donne sa bénédiction à une pénalité aussi démesurée, ça me dépasse complètement.

Pourtant, c’est exactement ce qui vient d’arriver à Benoit Dessureault. Fidèle client de Télébec depuis 2011 pour sa petite entreprise Caféier-Boustifo, il a voulu couper sa ligne téléphonique qui lui coûtait la rondelette somme de 81 $ par mois.

À son grand étonnement, le service à la clientèle lui a indiqué qu’il avait un contrat de cinq ans et qu’il devait payer des frais de résiliation correspondant à 50 % des mensualités restantes jusqu’à l’échéance en 2021.

Pénalité totale : 1666 $. Fou raide !

Pourtant, il n’y a rien d’inhabituel là-dedans. Tous les contrats d’affaires de Télébec et de sa société mère Bell Canada utilisent la même méthode de calcul des pénalités pour menotter solidement la clientèle.

À mon sens, ces frais sont injustifiables, car le client n’a reçu aucun équipement en cadeau et son débranchement s’est fait automatiquement sans qu’un technicien se déplace.

« À la base, ça peut être qualifié d’abusif étant donné qu’il n’y a pas de perte pour l’entreprise. On a eu des clauses déclarées abusives par la Cour d’appel pour pas mal moins que ça dans des dossiers contre Rogers et Bell », affirme Me David Bourgoin, du cabinet BGC avocats.

Dans le cadre de deux actions collectives qui émanaient de mes chroniques dans La Presse, Bell doit maintenant payer 1,5 million de dollars à 85 000 clients et Rogers 26 millions à près de 200 000 consommateurs. Ceux-ci avaient dû payer des frais de rupture de contrat jugés abusifs en vertu de l’article 1437 du Code civil.

Avis aux intéressés, les chèques s’en viennent. Soyez patients.

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Mais depuis 2010, Québec a modernisé la Loi sur la protection du consommateur (LPC), qui empêche expressément les fournisseurs de télécom de menotter leurs clients avec des pénalités abusives. Une très belle avancée.

Que ce soit pour le cellulaire, la téléphonie résidentielle, l’internet ou la télévision, les fournisseurs n’ont plus le droit d’exiger une pénalité supérieure à la valeur du cadeau qu’ils ont donné au client à la signature du contrat (p. ex : un téléphone, un modem, etc.), valeur qui doit être amortie sur la durée du contrat.

Quand le client n’a pas reçu de rabais sur un équipement, la pénalité ne peut pas être supérieure à 50 $ si le client déchire son contrat avant la fin.

Le hic, c’est que la LPC ne s’applique pas à la clientèle d’affaires, qui est laissée pour compte.

Il est vrai que certaines règles fédérales s’appliquent tant aux particuliers qu’aux PME. Grâce au Code sur les services sans fil, les fournisseurs de cellulaire ne peuvent pas imposer une pénalité supérieure à la subvention accordée à l’achat du téléphone au début du contrat. Cette pénalité est amortie graduellement sur un maximum de 24 mois.

Si le consommateur a reçu un téléphone de 800 $, par exemple, sa pénalité ne sera plus que de 400 $ après un an et le client sera libre comme l’air après deux ans.

Malheureusement, Ottawa n’a pas jugé bon d’imposer des règles similaires pour les services de téléphonie résidentielle, la télévision et l’internet.

C’est fort dommage, car les frais de résiliation sont un sujet de plainte important auprès du Commissaire aux plaintes relatives aux services de télécom-télévision (CPRST). L’an dernier, le CPRST a reçu 392 plaintes à cet égard pour l’internet et 376 pour la téléphonie résidentielle.

Or, le CPRST ne peut pas interdire les pénalités astronomiques. Son mandat est simplement de s’assurer que les fournisseurs respectent leur contrat, pas de juger si les clauses sont raisonnables ou non.

Alors les fournisseurs de télécom continuent de se payer la traite avec la clientèle d’affaires.

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Revenons au cas de M. Dessureault, qui est un peu particulier puisqu’il demeure à Ville-Marie, en Abitibi-Témiscamingue, dans une zone réglementée. À cause du manque de concurrence, les fournisseurs doivent encore y faire approuver leurs tarifs par le CRTC.

Mais le CRTC n’a pas les dents bien longues. Il ne trouve rien à redire aux pénalités pour résiliation de contrat de Télébec qui « sont conformes aux pratiques de l’industrie », m’a répondu la porte-parole du CRTC Patrica Valladao.

Ce n’est pas parce qu’une pratique est monnaie courante qu’elle n’est pas abusive ! Il me semble qu’Ottawa devrait mieux protéger les consommateurs et les PME contre l’oligopole des télécoms.

Toujours est-il que vous ne serez pas surpris d’apprendre que la plainte de M. Dessureault a été rejetée par le CRTC. Il avait pourtant fait valoir que son entente initiale de cinq ans avait été renouvelée automatiquement « aux mêmes termes » sans que Télébec lui ait dévoilé les conditions précises.

Il pensait avoir gain de cause, car le site web du CRTC indique qu’avant de renouveler un contrat de service téléphonique d’affaires, le fournisseur doit indiquer « clairement les modalités de renouvellement ».

Mais la situation de M. Dessureault n’a pas ému le CRTC, qui a déterminé que Télébec respectait bel et bien les clauses de l’entente. Point. Tant pis si le client n’en a pas été bien informé. Tant pis si la pénalité n’a ni queue ni tête.

On passe à un autre appel.

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