Patrimoine

Le cheddar au lait cru du Témiscamingue, cette espèce menacée

Le cheddar au lait cru du Témiscamingue vient d’être inscrit sur la liste de l’Arche du goût. Ce refuge pour aliments a été créé par le mouvement Slow Food en 1996. Ceux qui trouvent une place à bord doivent avoir un goût distinctif et être produits en petites quantités, donc ne pas être issus d’un procédé industriel. L’aliment doit aussi être lié à l’histoire, à la mémoire ou à l’identité d’un groupe particulier ou d’une région.

L’inscription n’a qu’une valeur symbolique. Mais pour ceux qui y trouvent une place, elle est immense. Près de 700 produits y sont inscrits, dont 29 canadiens : le melon de Montréal, la poule Chanteclerc, le bison des Prairies et même l’énigmatique choucroute de Tancook Island, qui se vend en Nouvelle-Écosse dans des contenants de carton comme ceux destinés au lait, font partie de ce groupe. 

Et maintenant, le cheddar au lait cru du Témiscamingue. Pour le moment, et depuis un bon moment, seul Le Fromage au village, à Lorrainville, en fait. C’est à cette petite fromagerie que l’on doit le Cru du clocher, un beau cheddar vieilli, fait de lait de vache provenant de quatre troupeaux de la région. 

Mais pourquoi est-il menacé ? 

Il y eut une époque où chaque village du Témiscamingue avait sa fromagerie, explique Brigitte Tisserant, du groupe Slow Food Abitibi-Témiscamingue, qui est derrière l’inscription sur l’Arche du goût. Mais c’était il y a très longtemps : la dernière fromagerie a définitivement fermé ses portes en 1972, laissant le Témiscamingue orphelin de fromages de terroir. 

« Le Témiscamingue est une belle région agricole, mais on est très loin des marchés. » 

— Hélène Lessard, copropriétaire du Fromage au village

Il a fallu attendre 24 ans avant que des producteurs laitiers ne décident de se lancer dans le fromage. « On trouvait qu’on faisait un beau lait et on voulait le mettre en valeur », explique Hélène Lessard, productrice laitière devenue fromagère. Mais tant qu’à créer un fromage dans un endroit où il n’y en a pas du tout, aussi bien en faire un qui a de la valeur. Et de la signification.

Ainsi, Hélène Lessard a travaillé avec des gens de son coin de pays, notamment des descendants de la famille Lafrenière, jadis important fabricant de beurre et de fromage. Ces précieux collaborateurs lui ont transmis un savoir qui allait assurément s’éteindre, faute de relève. Ainsi est réapparu le cheddar du Témiscamingue, fait de lait cru, selon une recette patrimoniale. 

« Je savais que les fromages au lait cru avaient un goût typé, dit Hélène Lessard. Ils ont un goût bien à eux. Malheureusement, il n’y a plus beaucoup de fromageries qui travaillent avec le lait cru au Québec. » Ce qui le rend doublement fragile, mais aussi unique : car même à côté d’autres cheddars faits par de grands transformateurs laitiers, le petit Cru du clocher trouve sa place. Une clientèle veut bien payer plus pour un produit différent. « Nous nous battons encore contre les préjugés tenaces, explique la fromagère. Quand on parle de cheddar, certains pensent au fromage marbré de l’épicerie. D’autres trouvent que le cheddar ne goûte rien. » 

Si les cheddars de lait cru du Témiscamingue sont maintenant inscrits à L’Arche du goût, Le Fromage au village ne devrait pas s’éteindre de sitôt : la fille d’Hélène Lessard et Christian Barrette, les deux proprios, compte reprendre la fromagerie.

Aujourd’hui, environ 30 % de Cru du clocher reste en Abitibi-Témiscamingue, le reste est vendu ailleurs en province et parfois même à l’extérieur du Québec. La fromagerie fabrique aussi une croûte fleurie, une pâte molle et deux fromages assaisonnés, l’un à la fleur d’ail, l’autre à la crème de cassis.

L’Arche du goût à l’école 

Bon coup pour la branche américaine de Slow Food : apporter un légume de l’Arche du goût dans les jardins scolaires. Les organisateurs de ce projet pilote ont choisi la pomme de terre Makah Ozette, une petite patate difforme qui ressemble un peu au topinambour. Elle est arrivée aux États-Unis du Pérou, au XVIIIe siècle, et fera son grand retour cet été dans quelques écoles, permettant aux jeunes d’acquérir à la fois des techniques de jardinage et une leçon d’histoire.

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