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Le père du web plaide pour la collaboration et la sécurité

Le créateur du World Wide Web, l’informaticien anglais Tim Berners-Lee, était de passage à Montréal, hier, où il prononçait un discours dans le cadre du 25e congrès international WWW2016. La Presse y a assisté et l’a rencontré.

On vous a demandé lors de cette conférence de quelle façon vous envisagez le web dans 20 ans. À l’inverse, à quel point les prévisions que vous aviez faites il y a 20 ans se sont-elles matérialisées ?

J’étais intelligent il y a 20 ans, je ne faisais pas de prévisions. Je parlais simplement de ce que je voulais voir arriver.

Je voulais que la toile reste neutre et ouverte. Comme vous le savez, c’est une bataille qui est toujours en cours. Elle est ouverte pour beaucoup de monde, mais pas dans certaines parties du monde.

Je voulais aussi que ce soit un environnement très collaboratif où vous et moi pourrions écrire un article ensemble, concevoir un pont ensemble, peindre une toile ensemble, et je ne crois pas que nous y soyons. Il y a beaucoup de choses qui existent en ce sens, mais je ne crois pas que nous soyons encore très bons à mettre ensemble des idées pour résoudre des problèmes complexes, guérir le cancer par exemple.

Vous semblez vous inquiéter de la création de silos, du fait par exemple qu’on ne peut simplement partager une photo avec des amis et des collègues si les deux groupes emploient des réseaux sociaux différents. Croyez-vous que l’idée d’un web généraliste s’érode au profit de différents silos, notamment des applications ?

Oui et non. Certaines applications fonctionnent très bien avec le web, il y a toujours des adresses URL pour pointer vers les différents éléments. D’autres éludent les aspects web. Par exemple, j’y lis un article et je ne peux le mettre sur Twitter parce qu’il n’y a pas d’URL. Je crois que les gens réalisent que c’est une perte. Tu peux produire de l’excellent contenu, mais s’il ne fait pas partie du web, il ne fait pas partie du discours universel.

Les révélations d’Edward Snowden ont ramené à l’avant-plan les discussions sur la sécurité lorsqu’on parle de l’internet. Avez-vous l’impression que la confiance du public a été affectée ?

En général, oui. Avant Snowden, tu allais aux réunions du Forum économique mondial parler de sécurité et les gens ne comprenaient pas vraiment ce qui se passait ou pourquoi c’était important.

Malheureusement, l’attention s’est beaucoup concentrée sur l’espionnage gouvernemental, mais il y a plusieurs menaces différentes sur le web. Mais ça a retiré le couvercle et permis une discussion beaucoup plus large.

Je crois qu’il y a un besoin dans chaque pays de démontrer que les autorités qui contrôlent l’internet ont la capacité de l’espionner, sont redevables à la population.

N’y a-t-il pas un risque que ces révélations augmentent la méfiance de certains pays au point où, plutôt qu’un seul internet, on se retrouve avec un internet américain, un internet chinois, un internet russe, etc. ?

Jusqu’à un certain point, nous y sommes déjà. Mais tous ces pays qui contrôlent l’internet ont soif d’échanges commerciaux. Ils réalisent aussi qu’il existe des problématiques mondiales comme le réchauffement climatique pour lesquelles il faut collaborer. J’espère que, peu à peu, ils seront incités à collaborer, tant pour des raisons politiques qu’économiques.

Peut-on vraiment rendre l’internet sécuritaire ?

Certainement pas. Mais on peut le rendre de mieux en mieux.

Y a-t-il une différence entre un internet sécuritaire à 90 % et un internet sécuritaire à 95 % ?

Je le crois, oui. Ça dépend de ce que vous y faites. Il existe différents niveaux de sécurité pour différents usages, ce n’est pas la même chose selon que vous m’envoyiez une photo ou des millions de dollars.

C’est quand les gens subissent une perte qu’ils augmentent le niveau de sécurité. Quand quelqu’un se fait voler quelque chose dans un hôtel, celui-ci installe de meilleures serrures. C’est la même chose sur le web. Les gens augmentent la sécurité là où ils subissent des pertes.

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