Chronique  Brexit

Le festival de l’ingérence

Les Britanniques décident aujourd’hui par référendum s’ils restent ou non dans l’Union européenne, une décision historique, qui pourrait changer profondément la donne économique et politique en Europe, et même au-delà.

Ce qui est historique aussi, c’est le très haut degré d’ingérence des leaders étrangers, européens, mais aussi des États-Unis et du Canada, qui font la file ces jours-ci pour supplier les Britanniques de rejeter le Brexit.

Normalement, il existe une règle non écrite, en politique étrangère, selon laquelle on s’abstient de dire à un autre peuple comment il devrait voter lors d’une consultation électorale ou référendaire. Simple principe de souveraineté : on n’aime pas se faire dicter ses choix dans sa propre maison par ses voisins et amis, alors on évite de le faire soi-même.

Dans le cas du Brexit, il est vrai qu’il ne s’agit pas pour les Britanniques de décider de maintenir ou de quitter leur espace politique (donc, de remettre en question, notamment, l’intégrité du territoire de leur pays), mais bien de statuer sur leur participation à un ensemble économique transnational. 

Soit, mais il s’agit tout de même de leur décision, et jusqu’à tout récemment, même l’Union européenne, première concernée par le résultat de ce référendum, avait décidé de rester en retrait.

Il y a quelques semaines, les sondages donnant une légère avance au Brexit ont toutefois sonné l’alarme de l’UE, dont le président a mis en garde les Britanniques contre une sortie. Le ministre des Finances de l’Allemagne a aussi prévenu les Anglais des risques d’une rupture.

De ce côté-ci de l’Atlantique, les dirigeants ont sauté à pieds joints dans la campagne, Barack Obama en tête, qui a déclaré dès avril, lors d’un séjour à Londres, que le Royaume-Uni subirait les conséquences économiques du Brexit.

Selon Frédéric Mérand, prof à l’Université de Montréal spécialiste de l’Union européenne, Barack Obama et d’autres leaders étrangers sont sortis publiquement contre le Brexit à la demande du premier ministre britannique David Cameron, qui tente de sauver le lien avec l’UE… mais aussi son poste dans cette aventure référendaire.

C’est surtout la peur d’une « contagion » (de sortie de l’UE) qui inquiète Cameron, Obama et les autres opposants au Brexit, selon M. Mérand.

Justin Trudeau a ajouté sa voix pro-UE le mois suivant, demandant aux Britanniques de maintenir les liens avec l’Europe. Son ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, a fait de même, puis, la semaine dernière, celui des Finances, Bill Morneau, a emboîté le pas.

Lundi, c’était au tour du haut-commissaire du Canada à Londres, Gordon Campbell, ex-premier ministre de la Colombie-Britannique, qui a mis les Britanniques en garde contre des bouleversements économiques qui dureront des générations en Grande-Bretagne, mais aussi dans le monde. En diplomatie, il est rarissime de voir un ambassadeur se mêler aussi directement des affaires du pays où il est en poste. Dans d’autres circonstances, une telle ingérence serait même perçue comme un grave faux pas. Mais dans ce festival de l’ingérence, les intérêts économiques internationaux semblent avoir largement déclassé le principe de souveraineté du peuple britannique.

Le premier ministre du Québec s’est joint au mouvement, lundi, disant souhaiter que les Britanniques optent « pour la stabilité plutôt que de briser un modèle commun qui a remporté du succès jusqu’à aujourd’hui ». Comme MM. Trudeau, Morneau, Dion et Campbell, Philippe Couillard affirme que les emplois liés à des firmes canadiennes au Royaume-Uni pourraient être menacés.

Le gouvernement du Québec s’était bien gardé de faire quelque commentaire que ce soit, à l’automne 2014, lorsque les Écossais ont voté sur leur indépendance. Même silence radio à propos du statut de la Catalogne.

Au Québec, les leaders souverainistes sont discrets sur le Brexit. Peut-être est-ce dû au fait qu’ils ont été frustrés par le passé par les interventions de leaders étrangers dans les affaires québéco-canadiennes. En octobre 1995, le président américain, Bill Clinton, avait affirmé, quelques jours avant le référendum, qu’il préférait un Canada uni, un geste qui avait été perçu comme une ingérence téléguidée depuis Ottawa.

Dans un blogue récent, Jean-François Lisée s’est retenu de donner son opinion sur le Brexit (la chose n’est pas si fréquente avec le député de Rosemont !), mais il relevait toutefois l’ironie de voir les Américains piétiner ainsi la souveraineté des Britanniques, eux qui tiennent mordicus à la leur.

Bernard Landry, lui, ne cache pas son attachement au maintien de l’ensemble économique européen et il ne s’offusque pas des interventions étrangères auprès des Britanniques. « Les affaires des autres sont parfois nos affaires aussi, dit-il. Londres est une place financière majeure, qui a une influence en Grande-Bretagne, mais aussi dans l’économie mondiale en général. Le Québec fait ses emprunts à Londres, et je me souviens d’être allé y vendre des obligations d’épargne du Québec lorsque j’étais ministre des Finances. »

Selon M. Landry, « l’Union européenne respecte l’indépendance nationale » de ses membres. Les partisans du Brexit disent exactement le contraire, et le fait que tout le monde semble vouloir se mêler de la décision des Britanniques, parfois en laissant présager les pires calamités économiques et sociales, ne fera qu’apporter de l’eau à leur moulin.

En arrière-plan de ce référendum, il y a aussi le « paradoxe écossais », qui est embêtant pour les souverainistes, là-bas et ici.

En effet, les souverainistes sont favorables à l’UE, mais une victoire du Brexit donnerait le signal d’un nouveau référendum sur l’indépendance en Écosse.

Comme l’a résumé, en une, le journal écossais The Scotsman récemment : « La dernière fois, OUI voulait dire partir et NON signifiait rester. Maintenant, NON veut dire partir et OUI veut dire rester, mais cela pourrait aussi signifier que OUI voudra encore dire partir et que NON voudra dire rester. »

Et vous pensiez que nos histoires de référendum étaient compliquées ?

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