dépenses Publicitaires

Ottawa « priorise le numérique »

OTTAWA — Alors que les députés fédéraux se penchent sur les difficultés financières des médias, le gouvernement fédéral a doublé en un an ses dépenses en publicité sur Facebook. Ottawa dépense maintenant davantage en publicité sur Facebook et Google que dans  toutes les stations de radio, tous les magazines et tous les quotidiens nationaux réunis.

Cette tendance devrait s’accentuer au cours des prochaines années, alors que le gouvernement Trudeau veut « prioriser le numérique » dans l’achat des publicités afin de « s’ajuster […] aux attentes des Canadiens ».

Selon les données obtenues par La Presse, le gouvernement fédéral est passé de 0,9 à 2,1 millions de dollars (+ 120 %) en dépenses publicitaires sur Facebook en 2014-2015, dernière année où les chiffres sont disponibles. Durant la même période, les dépenses publicitaires fédérales ont diminué de 84 % dans les quotidiens imprimés et de 61 % à la radio.

Le gouvernement Trudeau compte « prioriser le numérique » au cours des prochaines années. « Notre gouvernement va communiquer par la voie de divers canaux à l’aide de messages clairs, exacts, et rédigés dans un langage commun », explique le cabinet du président du Conseil du Trésor du Canada, dans une déclaration écrite.

« On doit s’adapter au fil du temps – les besoins et les attentes des Canadiens changent et nous  devons changer au même rythme. »

— Le cabinet de Steve Brison,  président du Conseil du Trésor du Canada

« Une démarche qui priorise le numérique reconnaît le besoin de communications ciblées, qui peuvent combiner des méthodes de communication traditionnelles et modernes, pour optimiser l’argent des contribuables et atteindre le public le plus large et divers possible », poursuit-on.

Les dépenses publicitaires sur Google sont restées stables à 2,6 millions en 2014-2015. Ensemble, les deux géants américains Facebook et Google obtiennent 4,7 millions en publicité fédérale, comparativement à 2,6 millions pour la radio, 657 214 $ pour les magazines et 357 298 $ pour les quotidiens nationaux. Quant aux journaux hebdos et communautaires, ils obtiennent 3,2 millions.

Se tirer dans le pied ou suivre les citoyens ?

Le professeur de journalisme Alain Saulnier croit que le gouvernement fédéral « se tire dans le pied » en plaçant une part grandissante de sa publicité sur Facebook et Google.

« Les géants du web sont en train de pousser les médias nationaux à l’agonie. Le gouvernement se tire lui-même dans le pied parce qu’il y contribue lui aussi. Il va falloir mener une réflexion de fond pour trouver un nouveau modèle d’affaires [pour les médias]. »

— Alain Saulnier, professeur en journalisme à l’Université de Montréal

« En attendant, on assiste à la lente agonie des médias nationaux. Je ne serais pas étonné qu’il y en ait qui disparaissent d’ici trois ou quatre ans », dit M. Saulnier, qui est professeur invité en journalisme à l’Université de Montréal et ancien directeur général de l’information de Radio-Canada.

La question de la responsabilité du gouvernement fédéral comme client publicitaire divise les partis de l’opposition. Le Bloc québécois et le Parti conservateur du Canada estiment qu’Ottawa fait bien de consacrer davantage de publicité aux plateformes comme Facebook, tandis que le Nouveau Parti démocratique (NPD) estime que les agences de publicité « exagèrent » le taux d’efficacité publicitaire de Facebook.

« Ils n’ont pas le choix de s’en aller vers le web, tout le monde s’en va tranquillement vers le web. Sur Facebook, il y a aussi de beaux sites d’information, les médias sociaux sont très utiles. C’est important que le gouvernement continue ses publicités et il faut aller rejoindre les gens où ils sont rendus », dit la députée du Bloc québécois Monique Pauzé.

« Nous croyons qu’il est normal que le gouvernement ajuste ses pratiques en matière de placements publicitaires en fonction des habitudes des Canadiens et des Canadiennes. »

— Alupa Clarke, députée conservatrice, dans une déclaration écrite

Le NPD ne veut pas que le gouvernement fédéral augmente sa publicité dans les médias traditionnels « pour les encourager », mais estime que l’efficacité de la publicité sur Facebook est exagérée. « J’ai l’impression que les médias traditionnels n’arrivent pas à combattre le préjugé favorable [à la publicité sur l’internet] qui semble être une exagération de la réalité », dit le député néo-démocrate Pierre Nantel. 

« En tant que gros acheteur de publicité au Canada, le gouvernement devrait vérifier le taux d’efficacité des médias traditionnels et des autres plateformes. Il n’est pas question d’avoir pitié des médias traditionnels. Par contre, il est atroce que le gouvernement donne toute cette publicité à des entreprises étrangères qui n’ont pas d’impact ici, qui ne paient pas leurs impôts ici. »

La Coalition pour la pérennité de la presse d’information au Québec, qui regroupe Le Devoir ainsi que les journaux de Groupe Capitales Médias, d’Hebdos Québec et de TC Transcontinental, demande à Ottawa et à Québec une « augmentation significative du budget gouvernemental à l’égard des placements publicitaires dans les journaux québécois, qui ne reçoivent pas leur juste part des investissements publicitaires de l’État ».

Les députés fédéraux siégeant au comité parlementaire sur le patrimoine étudient actuellement la situation des médias au pays. La ministre du Patrimoine canadien Mélanie Joly reconnaît le « rôle important que les médias et le journalisme jouent dans notre société ».

« Dans un monde de plus en plus numérique, nous savons que les médias, que les journaux font face à des obstacles. Leur modèle d’affaires est en changement, la compétition pour les dollars publicitaires est forte, alors que les habitudes des consommateurs changent », a indiqué le cabinet de la ministre Joly dans une déclaration écrite.

Le gouvernement Trudeau a demandé plus tôt cette année un rapport sur l’industrie des médias écrits.

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