Le Canadien

Billets à vendre pour un match à « guichets fermés »

Le Canadien de Montréal affirme avoir disputé 553 matchs consécutifs à guichets fermés au Centre Bell. Pourtant, il restait plusieurs paires de billets à vendre lors du dernier match, a constaté La Presse. Le Canadien peut-il vraiment déclarer faire salle comble soir après soir ? Trois experts en doutent.

21 302 billets

Nombre de sièges au Centre Bell et taille de la foule annoncée par le Canadien de Montréal lundi soir, lors du match contre Columbus, ce qui équivaut à la capacité officielle du Centre Bell. Or, tout juste avant la fermeture de la billetterie du Centre Bell, vers 21 h (en fin de deuxième période), La Presse a constaté qu’il restait plusieurs paires de billets à vendre dans les sections des sièges bleus, des blancs et des rouges –jusqu’à six billets consécutifs dans les bleus, les sections les plus éloignées de la glace.

L’explication du Canadien

À la suite des questions de La Presse, le Canadien a précisé qu’il restait lundi soir quelques billets non vendus – « moins d’une centaine », selon l’équipe – mais que le match était tout de même disputé à guichets fermés. Comment est-ce possible ? 

Pour calculer un match à guichets fermés, l’équipe affirme qu’elle ajoute tous les billets supplémentaires vendus dans les loges. Une loge contient obligatoirement 12 billets, mais le détenteur de la loge peut demander de six à huit billets supplémentaires. Au total, les détenteurs des 136 loges peuvent ainsi acheter jusqu’à environ 950 billets supplémentaires, soit jusqu’à 4,5 % de la capacité du Centre Bell (21 302 sièges). Ces billets supplémentaires ne sont pas ajoutés à la capacité du Centre Bell, mais sont ajoutés au total de billets vendus. En clair, le billet vendu est compté, mais pas le siège sur l’assistance totale. 

« Une salle comble est effectivement compensée par des billets extra dans les loges », a dit Donald Beauchamp, vice-président des communications du Canadien, qui précise que l’équipe a vendu davantage de billets supplémentaires dans les loges lundi soir qu’il y avait de paires de billets non vendus dans les gradins. L’équipe exclut aussi du calcul d'une salle comble les billets non consécutifs (les « singles ») non vendus, une pratique commune dans l’industrie.

L’explication il y a un mois

Lors du match inaugural en octobre, l’ex-vice-président marketing et ventes du Canadien Ray Lalonde avait déclaré au 98,5 FM que la série de matchs à guichets fermés au Centre Bell était dans les faits terminée depuis au moins deux ans. L’équipe avait contesté cette affirmation, expliquant que seuls les billets non consécutifs (les « singles ») n’étaient pas comptabilisés dans le calcul des foules. « Une salle comble, c’est lorsque toutes tes paires sont vendues », avait alors indiqué M. Beauchamp à La Presse.

Des données « embellies », dit un expert

Le Canadien peut-il affirmer qu’il joue à guichets fermés alors qu’il reste des paires de billets à vendre ? « On n’est pas dans un péché capital, mais dans un péché véniel, dit Renaud Legoux, professeur en marketing à HEC Montréal. C’est un mensonge de promotion. On s’entend qu’ils ont été un peu créatifs. À partir du moment où les statistiques de salles sont utilisées à des fins promotionnelles, on a un incitatif à les embellir, et il n’y a pas d’organisme international pour régir ça. »

Une juste représentation ?

La Loi sur la protection du consommateur ne permet pas au Canadien d’affirmer qu'il dispute ses matchs à guichets fermés s’il reste des paires de billets à vendre, selon deux professeurs en droit consultés par La Presse. Les tribunaux québécois n’ont toutefois pas eu à juger une cause similaire, ce qui fait en sorte qu’il n’y a pas de jurisprudence claire sur cette question précise. L’équipe n’a pas souhaité commenter cet aspect.

« Ça a les allures d’une représentation fausse ou trompeuse, ça ne dit pas la vérité au public. Le sens commun de guichets fermés, c’est qu’il ne reste plus de billets. La Cour suprême a dit dans l’arrêt Times qu’on devait se mettre dans la peau d’un consommateur crédule et inexpérimenté. Un tribunal pourrait vivre avec l’exception des billets “singles”. Mais 100 billets qu’on peut acheter en paires, ce n’est pas à guichets fermés, selon moi », dit Pierre-Claude Lafond, professeur en droit de la consommation à l’Université de Montréal

« Laisser croire aux amateurs de hockey que l’équipe a fait salle comble alors que ce n’est pas le cas constitue à mon avis une pratique de commerce interdite. Peu importe l’objectif qui est poursuivi (maintenir la valeur des billets, inciter à l’achat de produits dérivés, etc.), ce qui compte est l’existence d’une “représentation trompeuse”, sans que l’on ait à prouver que des gens ont acheté des billets en raison de leur rareté présumée », affirme Daniel Gardner, professeur de droit à l’Université Laval.

« On annonce 21 302 billets vendus, et c’est ce qui arrive »

« On annonce 21 302 billets vendus, et c’est ce qui arrive [21 302 billets vendus]. […] Il peut arriver qu’il va rester quelques billets disponibles, par exemple un lundi soir au milieu d’une séquence de 13 matchs en 32 jours à la maison où ça peut être difficile de tous les vendre », dit Donald Beauchamp, vice-président des communications du Canadien. Comme toutes les équipes de la LNH, le CH doit aussi réserver plusieurs dizaines de billets pour la ligue et l’équipe adverse, billets qu’il remet en vente le jour du match (par exemple, de 50 à 75 billets) s’ils ne sont pas utilisés.

553 matchs 

Série de matchs consécutifs disputés à guichets fermés par le Canadien au Centre Bell, selon l'équipe, qui précise cette série de matchs « à guichets fermés » dans les notes de presse officielles destinées aux journalistes avant les matchs. Il s’agirait de la plus longue séquence du genre dans l’histoire de la LNH. Le dernier match du CH au Centre Bell qui n’était pas disputé à guichets fermés : le 8 janvier 2004.

— Avec la collaboration de Guillaume Lefrançois et de Jeiel Onel Mézil, La Presse

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