Science

Lire le risque de crise cardiaque dans l’ADN

Imaginez si on pouvait vous dire quel risque vous courez de subir une crise cardiaque en regardant dans votre ADN. Science-fiction ? Non. Une équipe de chercheurs de l’Université de Montréal et de l’Institut de cardiologie de Montréal vient de montrer que la technique fonctionne chez les « Canadiens français ». Prochaines étapes : l’étendre aux minorités et la déployer dans le réseau de la santé.

Un homme ou une femme, foudroyé par une crise cardiaque sans aucun signe avant-coureur : ce genre de scénario qui donne froid dans le dos, on l’a tous déjà entendu. Or, une nouvelle recherche suggère qu’un nouvel outil génétique pourrait être déployé à grande échelle pour informer les gens à l’avance de leur risque cardiaque.

Cet outil s’appelle le « score de risque polygénique » – une note qui définit le risque génétique que court un individu de développer une maladie. Des chercheurs québécois viennent de faire passer le concept de la théorie à la pratique en montrant que dans le cas des maladies coronariennes, il peut avoir une réelle utilité au Québec.

« On a validé que les outils fonctionnent vraiment bien dans notre population. On est capable de différencier des individus malades et non malades », explique Guillaume Lettre, auteur principal de l’étude publiée aujourd’hui sur le sujet dans Circulation : Genomic and Precision Medicine, également professeur à la faculté de médecine de l’Université de Montréal et chercheur à l’Institut de cardiologie de Montréal.

Pour calculer le risque de maladies coronariennes d’un individu X, disons Ginette, il faut séquencer son génome. « C’est comme si on prenait une photo de son ADN », illustre le professeur Lettre. 

On compte ensuite les variations génétiques qui sont associées aux maladies coronariennes. Plus il y a de ces variations, plus le risque est élevé.

Derrière le score de Ginette se cache un travail de moine. Des chercheurs ont préalablement pris des « photos » de l’ADN de centaines de milliers de gens sains et de gens souffrant de maladies coronariennes, puis ont scruté les différences entre les deux groupes. Quand on chiffre le risque de Ginette, on regarde en fait à quel point sa photo ressemble à celle des gens malades et à quel point elle ressemble à celle des gens sains.

Un test utile auprès des « Canadiens français »

Voilà pour la théorie. « Ce qu’on a voulu voir de notre côté, c’est : est-ce que ça a une utilité clinique pour nous, au Québec ? », explique le chercheur.

Pour le savoir, les chercheurs ont plongé le nez dans les données de 11 000 Québécois dont le génome avait été séquencé dans le cadre de divers projets scientifiques. Du lot, 3689 avaient déjà souffert de maladies coronariennes (dont la crise cardiaque est la manifestation la plus grave).

Les chercheurs ont calculé le fameux score de risque polygénique de chacun des individus. Puis, ils ont refait l’exercice de voir si celui-ci permet de retrouver les individus qui avaient déjà fait des crises cardiaques ou souffert de maladies coronariennes. Bingo ! Le score, à lui seul, pouvait identifier les gens malades.

« Les individus malades ont un score beaucoup plus élevé que les individus sains. C’est super encourageant : ça veut dire qu’il y a une valeur prédictive à cet outil », explique Guillaume Lettre.

Les minorités ethniques oubliées

Notons que l’étude a été menée uniquement sur des « Canadiens français », donc des Québécois dont les ancêtres étaient français et qui ont donc un génome similaire. « L’application chez les populations hispaniques ou d’origine africaine fonctionne vraiment moins bien », admet Guillaume Lettre. La raison est simple : les milliers de « photos d’ADN » prises pour calculer les risques polygéniques ont surtout été faites sur des populations blanches.

« Ça touche un enjeu social important : actuellement, dans le développement de ces scores polygéniques, on est en train d’oublier les populations minoritaires. »

— Guillaume Lettre, auteur principal de l’étude

« Les populations d’origine africaine, par exemple, sont d’un très grand intérêt dans mon laboratoire, mais il s’agit d’un travail de longue haleine. Ce qui nous manque encore, ce sont les jeux de données pour pouvoir calibrer nos scores », souligne le chercheur. 

L’autre question est de savoir comment, concrètement, utiliser les scores polygéniques. Guillaume Lettre estime qu’il en coûterait environ 100 $ pour obtenir assez d’informations génétiques pour établir le risque de maladie coronarienne d’un individu. Il n’est donc pas utopique, par exemple, de mesurer ce risque dès la naissance chez tous les enfants. Savoir ce qu’on en ferait ensuite soulève d’autres questions.

« Est-ce qu’on va commencer à donner des statines [des médicaments qui font baisser le cholestérol] à des gens de 30 ans parce que leur risque est plus élevé ? demande Guillaume Lettre. C’est une grande question qui va sans doute demander de gros essais cliniques pour apporter des réponses. »

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