À ma manière

Passer de la cave au sommet

L’aventure : concevoir et fabriquer des celliers sur mesure. La manière : passer du bas au haut de gamme, et viser la planète.

Dans un petit local meublé de quelques bureaux usagés, au quatrième étage d’un modeste immeuble du nord de Montréal, Jonathan Primeau et sa quinzaine d’employés conçoivent des celliers vitrés sur mesure de 100 000 $ et plus.

Il y a à peine deux ans, la facture moyenne atteignait péniblement de 10 000 à 15 000 $.

Que s’est-il passé ?

Faire confiance

Volubile, Jonathan Primeau est animé d’une passion que n’annoncent pas son sobre veston gris bleu, ses cheveux longs bien lissés derrière les oreilles et ses lunettes sérieuses.

L’homme de 37 ans n’a jamais manqué de vision, ni de projets. Aux yeux de sa conjointe Julie, il en avait même trop. Directeur chez Fujitsu, il multipliait les idées d’entreprises : magasin de vélos ? immobilier ? art ? vin ?

Julie le somme d’en choisir un et de foncer.

« Toute ma vie, j’avais été autonome », raconte l’entrepreneur, qui avait quitté la maison familiale à 17 ans. « Je n’ai jamais fait vraiment confiance. Pour la première fois de ma vie, je me suis dit : OK, je vais l’écouter, je vais lui faire confiance et je vais sauter. »

Le bouchon saute aussi : il choisit le vin.

Débuts modestes

Il fonde CellArt en septembre 2013. L’aventure commence à faible débit. Dans le petit atelier-entrepôt de l’entreprise, Jonathan Primeau montre les frêles cadres de bois, achetés en magasin, qui formaient l’ossature de ses premières créations. Le coût d’un projet était facile à évaluer : 2 $ par bouteille.

Il y ajoute bientôt un système d’étagères métalliques, qui fait passer le coût moyen à 12 $ la bouteille. « Aujourd’hui, je suis entre 400 et 600 $ la bouteille. J’ai arrêté de prendre des produits que tout le monde pouvait acheter. »

Le débouché

Tout débouche en février 2016. Il signe avec le fabricant de Vancouver STACT l’exclusivité mondiale pour les installations sur mesure de son système modulaire de rangement de bouteilles. Conçu par un designer californien, le système est aussi sobre qu’élégant : de fines tiges d’aluminium anodisé émergent à angle droit d’un panneau mural.

Vide, le mur ressemble à une gigantesque planche de fakir verticale. Plein, on n’y voit que les bouteilles, qui semblent suspendues dans le vide.

Jonathan Primeau le propose sur les plus riches matériaux : placages de bois fins, soyeux stratifiés de luxe, cuir…

Au cours des mois suivants, un curieux phénomène se produit.

« On s’est rendu compte que lorsqu’on présentait des designs plus sophistiqués, plus recherchés, les clients achetaient, et le prix devenait plus important. »

— Jonathan Primeau

Autre paradoxe : le nombre de bouteilles diminue ! « Je suis parti de projets de milliers de bouteilles. Maintenant, c’est 300 bouteilles environ pour 100 000 $. »

Mais en quoi se distingue-t-il de la concurrence ? « On pousse autant l’aspect esthétique que l’aspect performance », répond-il.

CellArt propose, par exemple, des systèmes de climatisation sans compresseur et met au point de nouveaux systèmes d’étagères.

« Ce qu’on fait, ça n’existe pas. Je n’ai pas de joueur à qui me comparer. »

En 2016, CellArt réalise une soixantaine de projets avec STACT.

« À Montréal, j’ai de la misère à répondre à la demande des caves à vin de 100 000 $ et plus, s’étonne l’entrepreneur. Imaginez pour les États-Unis ! »

Des projets sont en cours en Californie et sur la côte Est américaine.

Spécialiste en projets

Jonathan Primeau n’est ni designer ni sommelier. « Je n’ai pas de formation », indique-t-il avec un large sourire. « Ça n’allait jamais assez vite. »

Au fil de ses emplois, il a obtenu une certification en gestion de projets, puis a fait un MBA pour cadres.

Il suit présentement à Amsterdam une formation hybride en gestion et créativité.

Son mentor, ancien directeur du design chez Phillips, lui a suggéré de s’intéresser au marché des yachts de luxe.

« Ça n’existe pas. Si on offre des options de cellier à 300 000 ou 400 000 $ dans un yacht, c’est une case qui va être cochée, tout simplement. »

Il s’apprête à contacter les présidents des 10 plus grands constructeurs, dont il a dressé la liste.

Il veut répéter le coup avec les jets privés.

Éparpillement ?

Jonathan Primeau est prêt à prendre les gorgées doubles.

Dans le cadre d’un programme pour finissants, l’École hôtelière de Lausanne lui a préparé un plan d’affaires pour le marché européen : Londres, Paris, Madrid, Milan, Dubaï…

« L’objectif est d’en faire une business de 100 millions de dollars par année. »

— Jonathan Primeau

Mais peut-être s’éparpille-t-il. « Mon équipe m’a dit de me calmer », rigole-t-il.

Elle peine déjà à suivre le rythme, et il faut d’abord bien faire les choses. Avec des clients qui versent 100 000 $ sans sourciller, « on ne peut pas se permettre d’erreur ».

Pour mieux contrôler la fabrication, il vient de conclure une entente de partenariat avec une entreprise d’ébénisterie à Saint-Eustache, dont le fondateur François Michelena a rejoint son équipe comme directeur général. « Je suis en train de me préparer pour qu’on puisse partir la machine », indique Jonathan Primeau.

Les ailes de Julie

Il a laissé son emploi chez Fujitsu en juillet 2015.

Pour la première fois, le couple a dû faire un budget. « Je me suis fait avertir, l’automne dernier, que je ne pouvais plus acheter de vin pendant les six prochains mois », confie-t-il avec son large sourire.

Jonathan et Julie sont parents de jumeaux depuis huit semaines. Jamais ses responsabilités familiales n’ont été aussi grandes, et pourtant, jamais il n’a autant « baigné dans le risque », dit-il.

« C’est complètement l’opposé, et tout ça, je le dois à ma femme. Elle m’a donné des ailes. »

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