Aline Chrétien 1936-2020

Aline Chrétien s’est éteinte à l’âge de 84 ans, samedi.

Aline Chrétien 1936-2020

Le « roc de Gibraltar » de Jean Chrétien n'est plus

Ottawa — Décrite comme la plus proche confidente et la principale conseillère de Jean Chrétien durant sa carrière politique qui s’est échelonnée sur près de quatre décennies, Aline Chrétien, femme de l’ancien premier ministre du Canada, est morte samedi à l’âge de 84 ans à son domicile du lac des Piles.

Née à Saint-Boniface-de-Shawinigan en 1936, Aline Chrétien (née Chaîné) n’a jamais cherché les projecteurs alors qu’elle était la première dame du pays. Sa grande discrétion ne signifiait pas pour autant qu’elle n’avait pas une influence considérable sur les décisions de l’ancien premier ministre et les politiques de son gouvernement libéral.

L’ancien premier ministre Jean Chrétien a déjà affirmé à quelques reprises dans ses discours que Mme Chrétien était un véritable « roc de Gibraltar » pour lui, une métaphore qu’il a reprise dans son livre Passion politique consacré à ses 10 ans de règne comme premier ministre.

« Aline était, est et sera toujours mon roc de Gibraltar. Elle est ma plus proche confidente, la conseillère que j’écoute le plus, et de toutes les personnes au monde, c’est elle qui me connaît le mieux », a écrit M. Chrétien dans un chapitre de son livre où il lève le voile sur l’influence de sa femme.

Une influence importante

Si Stéphane Dion a décidé de quitter les salles de classe de l’Université de Montréal et de faire le saut en politique sur la scène fédérale en 1996, quelques mois après le référendum sur la souveraineté au Québec où le camp du OUI est venu à un cheveu de remporter la victoire, c’est grâce à l’intervention d’Aline Chrétien auprès de l’ancien premier ministre.

Si Jean Chrétien a décidé de solliciter un troisième mandat aux élections fédérales de 2000, même s’il avait promis à ses proches qu’il quitterait la vie politique après deux mandats majoritaires, c’est après avoir reçu les encouragements d’Aline Chrétien, qui digérait mal le comportement des partisans de son éternel rival Paul Martin qui cherchaient une façon de précipiter son départ.

Si le gouvernement Chrétien a mis en chantier une importante réforme des pensions au début de son premier mandat, c’est aussi sous l’impulsion d’Aline Chrétien.

Quand un inconnu s’est introduit au 24 Sussex armé d’un long couteau, dans la nuit du 5 novembre 1995, c’est le sang-froid d’Aline Chrétien qui a permis d’éviter le pire. Après un face-à-face avec l’individu, André Dallaire, elle est rapidement retournée sur ses pas pour verrouiller la porte du petit bureau attenant à la chambre à coucher et alerter les policiers de la Gendarmerie royale du Canada qui étaient postés dans les guérites de sécurité aux portes de la résidence officielle. L’homme, qui était instable sur le plan mental, avait réussi à s’introduire dans la résidence en cassant une petite fenêtre du rez-de-chaussée après avoir gravi l’escarpement qui longe la rivière des Outaouais et escaladé la clôture entourant la résidence, tout cela à l’insu des policiers.

Alors qu’il était premier ministre, M. Chrétien terminait souvent une mêlée de presse après une rencontre du cabinet le mardi midi en disant aux journalistes qu’il devait quitter la colline pour une rencontre importante – le déjeuner au 24 Sussex en compagnie d’Aline Chrétien.

Quand les scribes lui demandaient quand il comptait se rendre chez le gouverneur général pour lui demander de déclencher des élections générales, M. Chrétien répondait avec un large sourire : « Quand Aline aura décidé que c’est le temps. »

À ses côtés

Des campagnes, Aline Chrétien en aura vécu aux côtés de Jean Chrétien : 11 élections générales, une élection partielle, deux courses à la direction du Parti libéral et deux campagnes référendaires au Québec.

« Souvent, elle m’a permis de rester en contact avec les réalités quotidiennes de la vie, les sentiments et les besoins des gens ordinaires. Car tout homme politique court le risque de considérer les problèmes d’un point de vue abstrait ou de se laisser convaincre par des fonctionnaires, des universitaires ou des économistes qui connaissent toutes les sciences sauf la science de la nature humaine », a aussi écrit M. Chrétien dans son livre.

Issue d’une famille modeste de la Mauricie, Aline Chrétien a décroché un emploi de secrétaire dès l’âge de 16 ans pour contribuer à faire vivre sa famille. Elle n’a donc pu fréquenter l’université. Mais elle a su mettre les bouchées doubles en suivant des cours par correspondance. En 1957, elle a épousé celui qui allait devenir plus tard le 20e premier ministre du Canada.

Autodidacte – elle a appris l’anglais, l’italien et l’espagnol au fil des ans –, Mme Chrétien a toujours su séduire ses interlocuteurs par sa grande culture, son élégance, sa dignité et sa compassion. Elle a d’ailleurs représenté le Canada aux funérailles de mère Teresa à Calcutta. Elle a prononcé un discours en italien à l’occasion d’une visite officielle de M. Chrétien en Italie. Durant la Conférence des épouses de chefs d’État et de gouvernement des Amériques à Ottawa en 1999, elle avait impressionné ses invités en présidant la rencontre en français, en anglais et en espagnol.

À 54 ans, elle a appris à jouer du piano, allant même jusqu’à donner quelques prestations devant un public, notamment à Trois-Rivières. Et elle n’a pas hésité à servir comme présidente honoraire du conseil consultatif national du Royal Conservatory of Music. Elle a aussi travaillé pour de nombreuses œuvres de charité.

En 2010, Mme Chrétien a écrit une page d’histoire en devenant chancelière de l’Université Laurentienne de Sudbury pour un mandat de trois ans. Elle était la première femme à occuper de telles fonctions depuis la fondation de l’établissement.

Dans une entrevue accordée à La Presse au moment de sa nomination, Mme Chrétien avait soutenu que l’éducation représentait un moyen efficace pour combattre la pauvreté qui afflige encore trop de familles canadiennes.

« Je viens d’un milieu très modeste. J’ai vu de près la différence que peut faire l’éducation dans la vie d’un individu. L’éducation ouvre de nouveaux horizons. C’est un des messages que je veux livrer aux jeunes », avait confié Mme Chrétien à l’époque.

Aline et Jean Chrétien ont eu trois enfants : France, Hubert et Michel Chrétien. Elle laisse aussi dans le deuil plusieurs petits-enfants.

Aline Chrétien 1936-2020

« Une grande dame nous a quittés »

Ottawa — « Une grande dame nous a quittés. C’était une force tranquille et une femme de cœur. »

Les éloges et les témoignages ont commencé à affluer à la suite de la mort d’Aline Chrétien, femme de l’ancien premier ministre Jean Chrétien, samedi, à l’âge de 84 ans, à son domicile du lac des Piles.

Selon certains, Jean Chrétien ne serait probablement jamais devenu premier ministre du Canada sans les précieux et sages conseils de son « roc de Gibraltar. » Le couple a souligné son 63e anniversaire de mariage le 10 septembre.

« Mme Chrétien était une femme élégante, très terre à terre. Elle n’a jamais oublié d’où elle venait. Elle avait un jugement hors pair. C’était probablement le plus proche conseiller de son mari durant toute sa carrière. Elle savait toujours que ce n’était pas elle qui avait été élue. Elle donnait ses conseils en privé. Mais elle ne voulait pas que ce soit rendu public », a témoigné Eddie Goldenberg, ancien proche collaborateur de Jean Chrétien pendant près de trois décennies.

« M. Chrétien disait des fois : “On m’a fait une telle recommandation, en théorie, c’était très bon.” Mme Chrétien lui disait : “En théorie, c’est peut-être très bon, mais pour monsieur et madame Tout-le-Monde de Shawinigan, ça ne marche pas du tout.” C’était donc une femme extrêmement sage », a ajouté M. Goldenberg.

Mme Chrétien n’a jamais oublié ses origines. Elle était d’une « grande courtoisie ». « Quand elle allait chez des gens, elle voulait toujours aider dans la cuisine, par exemple, en sortant la vaisselle. Le fait que c’était la femme du premier ministre ou de l’ancien premier ministre importait peu pour elle. »

« Elle a eu une grande influence sur M. Chrétien. Quand ils étaient plus jeunes, elle a réussi à lui donner une grande discipline qui lui faisait défaut quand il était à l’école », a ajouté M. Goldenberg, qui a rencontré Mme Chrétien en 1972.

« Elle pouvait rencontrer la reine Élisabeth II au palais de Buckingham, elle représentait très bien le Canada à l’étranger, mais elle était plus confortable à Shawinigan. »

— Eddie Goldenberg

M. Goldenberg a raconté que de proches collaborateurs souriaient bien en privé quand ils voyaient que Mme Chrétien réussissait à convaincre le premier ministre du bien-fondé d’une politique.

« Quand on voyait qu’il manquait de discipline ou qu’il allait dans la mauvaise direction, elle était toujours la Cour d’appel. On l’appelait et on lui disait qu’on avait un petit problème », a raconté l’ancien proche collaborateur de Jean Chrétien.

Le ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, qui représente la circonscription de Saint-Maurice–Champlain à la Chambre des communes, est proche de la famille Chrétien.

En entrevue avec La Presse, dimanche, M. Champagne a affirmé que Mme Chrétien, avec qui il a pu parler en italien à maintes reprises au fil des années, était une force tranquille.

« J’ai vu Mme Chrétien il y a deux semaines. C’était une force tranquille et une femme de cœur. Elle était engagée dans sa communauté. Elle était autodidacte », a affirmé M. Champagne, qui connaissait Mme Chrétien depuis 20 ans.

« À l’époque où elle apprenait l’italien, on se parlait dans cette langue. On a toujours gardé ce lien-là. M. Chrétien l’appelait son roc de Gibraltar. Ce n’était pas pour rien. »

Plusieurs hommages

Dans un communiqué de presse, le premier ministre Justin Trudeau a tenu à souligner la contribution de Mme Chrétien.

« Aline est née à Shawinigan, au Québec, au sein d’une famille humble et travaillante. Elle était une mère forte et, durant plus de 60 ans, elle a été une épouse dévouée. Aline a soutenu l’un des premiers ministres du Canada dont le mandat compte parmi les plus longs de notre histoire, mais aussi à travers certains des moments les plus déterminants de notre pays.

« Aline était également l’une des conseillères les plus influentes de M. Chrétien. Elle était réputée pour sa ténacité, sa grande intelligence et son sens de l’observation. La vie qu’elle a partagée avec Jean, y compris lorsqu’ils étaient au service des Canadiens, était fondée sur la confiance, le travail acharné et un véritable partenariat.

« Nous devons énormément à Aline. Elle a fidèlement servi les Québécois et tous les Canadiens, défendu le multiculturalisme et le bilinguisme et contribué à nous rapprocher les uns des autres. Authentique et honnête, elle nous a appris l’importance de persévérer, même quand la situation devient difficile. »

Le premier ministre du Québec, François Legault, a offert ses condoléances sur son compte Twitter. « Je suis très triste d’apprendre le décès d’Aline Chrétien, l’épouse et la compagne de Jean Chrétien depuis 63 ans. J’offre mes plus sincères condoléances à Monsieur Chrétien, à leurs enfants France, Hubert, Michel, à leurs petits-enfants et à tous leurs proches. »

Bob Rae, ancien premier ministre ontarien et ex-chef intérimaire du Parti libéral, a décrit Aline Chrétien comme « une femme de grande générosité » en présentant ses condoléances sur les réseaux sociaux dimanche après-midi.

La gouverneure générale du Canada, Julie Payette, a également rendu hommage à Mme Chrétien. « Une femme de cœur, attentive et généreuse. Mes plus sincères condoléances à toute la famille », a-t-elle écrit sur les réseaux sociaux, avec une photo d’Aline Chrétien lors du premier décollage dans l’espace effectué par Mme Payette.

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a aussi offert ses condoléances. « J’ai une pensée pour l’ancien premier ministre, M. Chrétien, qui a non seulement perdu une épouse, une mère, mais aussi une coéquipière de tous les instants en Aline Chrétien. »

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a également offert ses condoléances à Jean Chrétien, ainsi qu’à la famille et aux proches de la défunte.

— Avec Mayssa Ferah, La Presse

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