Chronique

Condamner la qualité

En anglais, on appelle ça un « one-two punch ». En français, une condamnation sans appel.

La Société du parc Jean-Drapeau a reçu un coup de poing de l’inspecteur général en plein visage, lundi. Puis elle a aussitôt été envoyée au tapis par un puissant crochet du maire Coderre. Sans avoir pu reprendre ses esprits, sans avoir pu dire un mot.

La direction du parc Jean-Drapeau a contourné les règles.

Elle est donc coupable, pourrie, corrompue.

Elle doit subir le même sort que tous les bandits qui ont défilé à la commission Charbonneau.

Au suivant.

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Le dernier rapport de l’inspecteur Denis Gallant ressemble à un jugement décousu, mais factuel. Il suit la loi à la lettre, il dénonce ce qui s’en éloigne : les « irrégularités », les règles « mal appliquées », les « exigences inusitées » de certains appels d’offres.

Mais il n’en a pas moins un côté cowboy. Pas dans ce qu’il affirme, mais dans ce qu’il tait : cette enquête n’a révélé aucune trace de fraude, de malversation ou de pots-de-vin. Aucune.

Une précision qui aurait dû se retrouver dans le rapport pour en atténuer la portée et, surtout, l’interprétation qu’on en fera. On ne peut laisser entendre des choses que la preuve ne montre pas. On ne peut écrire que les consignes ont été « au mieux ignorées », par exemple, sans préciser ce que cela implique.

Vrai, un élément du rapport pourrait ressembler à un acte malveillant. C’est le contrat accordé au Quartier international de Montréal (QIM) au terme d’un appel d’offres qui, selon Me Gallant, « pouvait amener objectivement une personne à conclure qu’il a été dirigé ».

Mais qu’apprend-on dans ce même rapport ? Que l’idée de confier le contrat au QIM ne vient pas du tout du parc Jean-Drapeau, mais bien de… « la haute direction » de la Ville de Montréal !

Et pourtant, c’est la Société qui est montrée du doigt et sa direction qui a « perdu la confiance » du maire.

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On s’entend, il y a des éléments troublants dans le rapport de Me Gallant. Des éléments qui mettent en cause le QIM.

Cette organisation à but non lucratif dirigée par Clément Demers a d’immenses succès à son actif, menés dans les délais et les budgets prévus, comme le Quartier international, le Quartier des spectacles et le réaménagement de la rue McGill.

Des succès qui reposent sur une certaine façon de faire, dirigée, serrée, qui incite à l’interprétation souple des règles et à la prise de décisions rapide. On a ainsi tourné des coins rond, accéléré certains processus, posé des gestes qui ne concordent pas avec la loi sur les cités et villes.

Autant de choses qu’on justifie par l’urgence d’un projet prévu en 2017, mais qui ne se prêtent pas à une gestion par une société paramunicipale, du moins dans l’état actuel de la législation.

Ces irrégularités méritent donc d’être signalées, soit. On ne peut interpréter les règles et les lois en fonction du moment. On ne peut favoriser un type de firmes sous prétexte qu’elles sont plus compétentes (hélas).

De tels manquements peuvent faire l’objet de recommandations, voire de blâmes. Ils peuvent être corrigés. Mais ils ne justifient pas qu’on salisse la réputation de personnes qui ne le méritent pas ni qu’on transfère le tout à une ville qui n’a réalisé aucun grand projet de qualité depuis longtemps.

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Ça n’est pas sorcier, on s’apprête à jeter le bébé avec l’eau du bain, le QIM, la Société du parc, sa vision et ses projets prometteurs pour le 375anniversaire.

Tout ça pour des manquements qui trahissent certes du laxisme, mais aussi les failles d’un système d’attribution de contrats contesté par tous les ordres professionnels. Un système qui ne permet pas de choisir la qualité.

Si le QIM a contourné certaines règles, c’est qu’il était pressé. Mais c’est aussi parce qu’il voulait faire affaire avec les meilleures firmes plutôt qu’avec le plus bas soumissionnaire, comme l’exige la loi.

L’inspecteur général en fait d’ailleurs mention. « Certains allégueront que les règles établies par le législateur ont eu une incidence sur la qualité des services professionnels. Ce point de vue ne peut justifier en aucun cas l’exigence de critères qui ont pour effet de satisfaire cette vision. »

Mais est-ce que la personne qui fait le choix de la qualité est plus condamnable que le système qui l’oblige à contourner la loi ? Est-ce que le laxisme dénoncé est plus dommageable qu’une règle qui oblige à choisir le moins cher ?

Il est assez affligeant qu’on condamne avec plus de force le choix de la qualité que les dépassements de coûts, qu’on ne distingue plus le prix et la valeur d’un contrat.

Ce que révèle le rapport de l’inspecteur, c’est les largesses du QIM, la confiance aveugle de la Société du parc Jean-Drapeau, mais aussi le ridicule d’un système qui privilégie le cheap, qui fait fuir les meilleures firmes et qui dégrade chaque jour un peu plus le paysage urbain de Montréal.

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