Derrière la porte

Pour en finir avec le célibat

Pause vous propose chaque samedi un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.

CETTE SEMAINE : MARTINE*, 53 ANS

Martine a 53 ans. Il y a trois ans, elle a rencontré l’homme de sa vie. Martine, qui croyait mourir vieille fille, revit. Récit.

Nous nous rencontrons pour parler de ses longues années de célibat (33 ans, dont 18 « totales ») dans un petit café du centre-ville. Et d’entrée de jeu, la souriante Martine lance une bombe : « J’ai été victime d’inceste à 7 ans. Par un proche de la famille », laisse-t-elle tomber d’une voix douce.

On a du mal à cacher notre surprise. Notre ahurissement. C’est qu’elle n’en a pas soufflé le moindre mot dans nos quelques échanges précédant la rencontre. « Oui, c’est probablement une des raisons pour lesquelles j’ai été célibataire si longtemps. Mais pas la seule », réfléchit-elle tout haut.

Visiblement, elle n’a pas envie de s’épancher sur l’affaire. Ça fait bien longtemps, et depuis (nous y reviendrons), elle a fait la paix (oui, « la paix », dit-elle) avec tout cela. Mais elle nous confie tout de même qu’à l’époque, elle n’a rien dit à personne. Rien. Elle a ravalé sa peine, et s’est laissé envahir par une colère sourde. Une colère envers elle-même, et envers les hommes en général.

Une lecture révélatrice

Martine enchaîne ici avec le récit de sa première aventure (à 17 ans), et de quelques brèves rencontres à 21, puis 25 ans. Et puis ? Plus rien, dit-elle. Une brève aventure à 33 ans, puis « le désert total ».

Parenthèse : à la fin de la vingtaine, Martine a une révélation en lisant un livre. Une histoire d’inceste. Elle ne se souvient plus ni du titre ni de l’auteur, mais elle se revoit encore debout, à l’arrêt d’un bus, éclater en sanglots. Un détail vient la chercher. La rejoint. Lui rappelle. C’est à la suite de cette lecture accidentelle que Martine se souvient. Et qu’elle met enfin le doigt sur son bobo. Une thérapie et des années de travail sur elle plus tard, elle commence à saisir pourquoi elle a été seule si longtemps. Fin de la parenthèse.

« J’ai découvert que j’avais beaucoup de difficulté à me laisser aimer. Comme si je n’étais pas intéressante. »

— Martine, 53 ans

C’est ainsi que, pendant des années, Martine a refusé de laisser les hommes l’approcher. Elle se trouvait d’abord trop moche, trop grosse. Elle se disait : « Quand je vais perdre du poids, quand je vais être belle et sexy. » Elle a perdu beaucoup de poids, mais rien n’a changé. « Dès qu’un homme m’abordait, j’étais sur les brakes. »

Çe n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. Les soupers de célibataires, elle connaît. Les marches en montagne aussi. « Bien des hommes se sont présentés. Mais j’étais toujours sur mes gardes… »

Si elle a trouvé le temps long ? Et comment. « Oui, il y avait un manque sexuel évident, dit-elle, mais aussi un manque de présence, de chaleur », dit celle qui n’a pas reçu le moindre câlin ou baiser d’un homme en près de 20 ans.

Si vous voulez tout savoir, oui, elle trouvait le moyen de se satisfaire toute seule (« je suis une experte », rit-elle), et ce, quotidiennement, mais non, ça ne comblait pas ses besoins. « Souvent, fait-elle valoir, ça augmente le manque, parce qu’il n’y a personne pour nous étreindre ou nous embrasser… »

Thérapies multiples

Coïncidence ? Elle vit à l’époque une période très satisfaisante professionnellement. « Comme si toute mon énergie sexuelle inutilisée était transportée dans mon travail… »

Et puis, à la mi-quarantaine, Martine « frappe un mur ». Un client de 70 ans perd sa femme et elle plonge dans une déprimante introspection. « Et moi, si je meurs demain, qui va avoir son quotidien bouleversé ? », se demande-t-elle.

Nouvelle thérapie, cette fois par le voyage, en Inde, par l’entremise de la méditation. « Ça m’a aidée à faire la paix. À évacuer des choses. » En rentrant au pays, Martine s’engage dans une démarche de justice réparatrice, une forme de thérapie alternative dans le cadre de laquelle, avec une travailleuse sociale et d’autres femmes victimes de sévices comme elle, elle part à la rencontre d’agresseurs en prison. Littéralement. Et c’est là, contre toute attente, qu’elle trouve enfin la « paix ».

« Ça m’a permis de me pardonner à moi-même et de pardonner à l’agresseur. »

— Martine

Comment ? « J’ai vu, en côtoyant ces agresseurs, que ce ne sont pas des gens qui sont… [Martine cherche ici ses mots]… bien. Ça n’excuse rien, dit-elle, mais j’ai compris que c’était presque accidentel que ça tombe sur moi. Ce sont des gens qui ne sont pas capables d’aller vers les adultes. Qui vont donc vers des enfants. » D’où son pardon.

« C’est comme si j’avais un sac que je traînais sur mes épaules, poursuit-elle, et que je l’avais laissé là, en prison. C’est comme si ça ne me concernait plus. »

Et c’est aussi là qu’elle a choisi de tourner la page. Et de regarder vers l’avenir. C’était il y a trois ans.

S’aimer enfin

« C’est cette année que ça se passe », s’est-elle dit un matin, cette année qu’elle apprend à s’aimer et qu’elle laisse aussi un homme l’aimer. Après des semaines de travail sur elle-même (à énumérer ses qualités, apprendre à les apprécier, et les apprécier encore) et l’achat d’une foule de nouveaux dessous sexy, elle rencontre enfin quelqu’un.

Le reste relève du conte de fées. C’est que l’homme en question, elle le côtoie depuis longtemps. Sans jamais l’avoir vu réellement. Un soir, le plus naturellement du monde, il l’embrasse. Une semaine plus tard, elle a rattrapé ses 18 années de disette, dit-elle à la blague, rouge comme une tomate. « C’était très intense ! » Si toutes ses années de célibat font peur à monsieur ? « Du tout, sourit-elle. Il en est fier ! »

Depuis ? Il lui apporte son café au lit tous les matins. Il la trouve belle et le lui dit. Et à la voir radieuse, on comprend qu’elle le croit et l’accepte enfin. « C’est un cadeau, sourit-elle. Oui, professionnellement, j’ai bien réussi : j’ai fait des études universitaires, j’avais une grosse job, mon entreprise, j’ai voyagé. Mais la femme en moi avait besoin qu’on pose ses yeux sur elle. Qu’on la trouve belle, qu’on la touche et qu’on en prenne soin… »

La semaine dernière, le soir de la Saint-Valentin, ils ont décidé ensemble de se marier l’été prochain.

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