Chronique

L’économie utile

Les personnes sourdes qui utilisent la langue des signes québécoise ont accès depuis le 28 septembre à un nouvel outil de communication qui vient de leur ouvrir des possibilités d’échanger qu’ils n’avaient jamais pu expérimenter auparavant. Une véritable révolution rendue possible par une entreprise de l’économie sociale, que l’on pourrait aussi qualifier d’entreprise de l’économie utile.

Alain Turpin est directeur général du Service d’interprétation visuelle et tactile (SIVET), un organisme qui offre des services d’interprète aux personnes sourdes, malentendantes et sourdes aveugles francophones dans les régions de Montréal, de Laval et de la Montérégie.

Le SIVET offre toujours ses services d’interprète aux personnes sourdes qui doivent communiquer avec des intervenants entendants dans les secteurs de la santé ou des services sociaux, des parents qui doivent communiquer avec l’enseignant de leur enfant, une personne qui doit interagir avec son médecin, un avocat ou le directeur des ressources humaines de l’entreprise où elle travaille.

Depuis le 28 septembre, le SIVET coordonne un nouveau service de relais vidéo (SRV) qui permet aux sourds de communiquer avec les utilisateurs des services téléphoniques vocaux par l’entremise d’interprètes qui communiquent avec eux dans la langue des signes québécoise (LSQ) et qui traduisent de vive voix à l’autre partie.

Ce tout nouveau système de vidéo par internet est offert à partir d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un téléphone intelligent. Il permet évidemment à deux personnes sourdes de communiquer entre elles.

« C’est une révolution pour les sourds qui peuvent maintenant communiquer avec les membres de leur famille, leurs amis, leur médecin ou simplement commander une pizza. »

— Alain Turpin, directeur général du Service d’interprétation visuelle et tactile

« Le service de relais vidéo est un outil d’intégration formidable », m’explique Alain Turpin, dans les nouveaux locaux montréalais où SIVET vient d’emménager avec son équipe de six interprètes – et bientôt onze. L’entreprise de communication exploite aussi un centre à Québec avec cinq interprètes.

Avec ses activités d’interprétation traditionnelles, SIVET emploie au total une cinquantaine de personnes, mais ses effectifs devraient s’élever à 75 interprètes d’ici deux ans, lorsque le service de relais vidéo sera pleinement utilisé.

SIVET réalise plus de 7000 interventions par année auprès de plus de 1000 clients et prévoit totaliser d’ici deux ans quelque 3000 clients avec son nouveau service de relais vidéo.

Le nouveau service d’interprète via l’internet de SIVET est financé par SRV Canada VRS, un organisme fédéral mis sur pied dans la foulée d’audiences du CRTC qui ont exigé que les grands fournisseurs de télécom et d’internet au Canada financent les activités de télécommunications des personnes sourdes.

Bien qu’il soit sourd de naissance, Alain Turpin a fait ses études primaires et secondaires dans des classes ordinaires à Gatineau grâce à la lecture sur les lèvres, avant de s’intéresser, à l’âge de 16 ans, à l’administration en gérant un club de mini-putt, ce qu’il fera jusqu’à l’âge de 21 ans.

Il décide alors de s’établir à Montréal où il s’intègre à la communauté des sourds et s’initie à la langue des signes québécoise, ce qui lui permettra de s’inscrire à HEC Montréal et de faire trois certificats en administration, en gestion d’entreprise et en informatique.

Après avoir travaillé comme analyste financier dans l’industrie des fonds communs, il occupe durant cinq ans le poste de directeur général de l’Association sportive des sourds du Québec avant de faire le saut, il y a cinq ans, à SIVET.

Une économie qui s’organise

Le rôle capital que joue SIVET auprès de la clientèle qu’elle dessert en fait donc une entreprise hautement utile mais aussi l’une des 3500 entreprises d’économie sociale qui participent activement à la vie économique de Montréal.

On recense plus de 7000 entreprises d’économie sociale à la grandeur du Québec. On a célébré, au début du mois, les 20 ans de la création du Chantier de l’économie sociale, né dans la foulée du Sommet économique de 1996 où l’on a reconnu formellement la contribution des entreprises collectives à la création de la richesse globale du Québec.

Il y a deux semaines, le Conseil d’économie sociale de l’île de Montréal a lancé son réseau d’affaires des entreprises d’économie sociale de Montréal, un nouveau lieu de réseautage, une sorte de chambre de commerce nouveau genre où les responsables des entreprises collectives de Montréal peuvent maintenant échanger entre eux et elles.

Selon des participants à la première rencontre de ce nouveau réseau, la centaine d’entreprises qui étaient représentées ont trouvé l’exercice extrêmement utile et prometteur, à l’image de la contribution du travail de tous les jours de ces entreprises, pourrait-on ajouter.

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