Opinion  Jeter, transformer, conserver et ajouter

L’année des grands chantiers

Nous avons demandé à cinq spécialistes ce qu’ils souhaitaient jeter, transformer, conserver et ajouter dans leur secteur d’activité pour la nouvelle année. Aujourd’hui, l’opinion de Serge Bouchard.

Jeter

Au rebut, l’expression : « Nous sommes en 2017 » ! J’ai trop peur qu’on la transpose en 2018, et jusqu’à la fin des temps. Cette expression a pris officiellement naissance en 2015, prononcée à point nommé par Justin Trudeau en référence à la parité de son gouvernement. Mais depuis, l’expression s’est emballée, popularisée, banalisée, tant et si bien qu’elle a rejoint le catalogue des slogans et des phrases vides. 

Dites-moi s’il y a une vertu à être en 2017, par rapport, disons, à 1917 ? Ne sommes-nous pas toujours en peine ? Les États-Unis ne viennent-ils pas d’élire le champion des sans-génie, donnant voix et légitimité aux ignorants du monde ? N’avons-nous pas échoué à nourrir, soigner et éduquer tous les enfants de la planète, y compris ceux de l’Afrique qui n’ont jamais réussi à nous émouvoir après des milliards d’images « virales » de grande misère humaine ? Ne sommes-nous pas en train de la détruire, cette planète, livrée aux dérapages d’une économie mondiale qui échappe à tout contrôle ? Ne sommes-nous pas en train de creuser un écart entre les riches et les pauvres, entre obèses et faméliques, un écart qui relève de l’abîme condamnable ? Nous sommes en 2017, et puis après ?

Transformer

Un de mes plus grands souhaits : transformer le bavardage creux de nos débats publics en véritable arène de la pensée. Cela relève de l’utopie, je sais. Tant et aussi longtemps que nous nous complairons dans la paresse intellectuelle, dans le divertissement, dans le radotage instrumental, tant que nous ne nous libérerons pas de l’œillère économique et du calcul utilitaire, de l’emprise des donneurs d’opinions individuelles, des facéties de Facebook, des sondages, des sondeurs, des sondés, nous ne réaliserons jamais que le projet social dépend de l’audace de la pensée, de l’intelligence collective et de la qualité de nos rêves. 

Il faut notamment se débarrasser une fois pour toutes de la croyance en la percolation de la richesse – laissez s’enrichir les riches, ils nous enrichiront – pour transformer le débat social en un laboratoire d’idées nouvelles, d’analyses inédites.

Un exemple parmi tant d’autres : il faut programmer l’obsolescence des énergies fossiles et annoncer la fin prochaine du moteur à piston. Et je ne dis rien du charbon… 

Objectif 2018 : mettons toutes les déclarations, décisions et tweets de Donald Trump dans une énorme déchiqueteuse et recyclons-les en une résolution universelle visant à la destitution du président des États-Unis d’Amérique pour crimes répétés contre l’intelligence humaine.

Conserver

Je retiens tout, finalement, je retiens tout pour mieux le conserver dans un musée édifiant, qui s’appellerait le Musée de nos errements et horreurs. On y verrait exposés, artefacts à l’appui, tous ces actes de corruption, scandales sexuels et autres abus de pouvoir, ces haines et incompréhensions interculturelles, ces gestes quotidiens d’intolérance et d’impolitesse relevés dans les derniers mois, sans compter le top 10 annuel des pires insanités sur les réseaux sociaux. Conserver les pièces à conviction de la petitesse systémique, pour mieux la reconnaître. Ce musée serait conçu pour abriter des annexes, beaucoup d’annexes, chaque nouvelle année amenant son lot de misères. 

Ainsi, nous pourrions apprécier le catalogue de nos pires erreurs, aussi bien humaines que technologiques, et pourquoi pas architecturales : on y reproduirait des morceaux d’école beige sur des échantillons de terrains contaminés et des petits carrés de béton faisant office de cours extérieures pour combien de Joyeux Jardin des Amis, de Petits Papillons du Paradis et autres garderies éducatives ? 

Il y aurait aussi un volet interactif : un mur très long, très haut, le mur des meilleures citations des animateurs de radio-poubelle, que les visiteurs seraient invités à faire tomber. Conserver pour ne plus reproduire. Naïvement, j’ose : plus jamais.

Ajouter

J’ajouterais à nos discussions et programmes politiques une dose de rêve, un soupçon de poésie, une conscience du beau, une sensibilité envers nos paysages, une exigence architecturale élevée, un plus grand souci de l’histoire et de la nature. J’écrirais une charte des Droits de la communauté dans laquelle serait sacralisée l’éducation et remise à l’avant-plan l’importance de la formation fondamentale, de la science et de l’histoire. L’individu ne serait plus un dieu, la publicité ne serait plus notre bible ; notre rapport aux autres s’en trouverait grandi. Notre rapport à la nature le serait aussi. Le territoire est autre chose qu’une simple réserve de ressources à exploiter. 

Sous mon gouvernement, le bien-être de nos animaux sauvages serait une priorité. Nous ferions en sorte de doubler les territoires protégés. J’ajouterais un ministère de la Beauté et de la Jarnigoine. Je nommerais Christine Beaulieu PDG d’Hydro-Québec. Plus localement, je repaverais l’avenue Christophe-Colomb dont certains nids-de-poule remontent à 1947. Enfin, dans un but nationaliste et purement égoïste, je modifierais les trios du Canadien de Montréal : le premier serait formé de Phillip Danault au centre, et des ailiers Jonathan Drouin et Charles Hudon. Soyons sérieux.

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