Alimentation

De l' arsenic au menu

Santé Canada vient de réviser ses normes pour réduire l’arsenic dans l’eau en bouteille, mais n’impose aucune limite pour pratiquement tous les autres aliments. Des analyses faites à la demande de La Presse confirment que ce contaminant est présent dans de nombreux produits achetés au Québec, parfois en quantité élevée. Comment éviter l’arsenic dans notre alimentation ?

Un dossier de Stéphanie Bérubé

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Des consommateurs impuissants

Arsenic. Le mot fait frémir, évoque un mystérieux poison. Pourtant, de nombreux aliments courants et offerts partout en contiennent. Des tests faits pour La Presse par un laboratoire privé révèlent que des céréales de riz soufflé bio achetées dans une boutique d’aliments santé contiennent jusqu’à 490 microgrammes d’arsenic par kilogramme, ce qui est très élevé.

Mais avec l’arsenic, c’est la roulette russe. Une même marque de céréale peut en contenir beaucoup dans un lot, et peu dans l’autre, puisqu’il s’agit d’un contaminant naturel dont la concentration varie grandement. Notre démarche n’était pas de cibler un fabricant, mais de démontrer que dans certaines catégories d’aliments, on ne peut l’éviter. Et c’est le cas.

Santé Canada vient d’adopter une nouvelle réglementation concernant l’arsenic. Depuis le 14 mai, l’eau vendue en bouteille ne devra pas en contenir plus de 0,01 ppm ou 10 microgrammes par litre. C’est la concentration permise dans l’eau potable.

« Si on accepte 10 pour l’eau, il n’y a pas de raison que l’on soit plus permissif dans le riz », estime Sébastien Sauvé, vice-doyen à la recherche et à la création de la faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal. « Autour de 100 et 200 microgrammes, ça commence à être un peu inquiétant », estime ce spécialiste des métaux lourds dans l’alimentation.

Le riz est connu comme la principale source alimentaire d’arsenic. Sa nature le rend particulièrement sensible aux métaux lourds. Et comme il est cultivé en immersion et que les eaux souterraines sont souvent contaminées – plus ou moins selon les pays et les régions du monde –, il absorbe l’arsenic.

Nous avons soumis 25 produits pour analyse, dont 5 riz. Tous contenaient de l’arsenic, de 30 microgrammes à 110 microgrammes par kilogramme. Sans surprise, le riz le plus contaminé était l’un des deux riz bruns étudiés. Les riz bruns risquent de contenir davantage d’arsenic, car les grains sont entiers.

Dans le noir

Le hic, c’est qu’en l’absence de réglementation et d’information, le consommateur est complètement dans le néant. « Quand j’achète une poche de riz, il y a toujours le risque qu’il soit très contaminé », dit Sébastien Sauvé, qui a écrit en 2014 un article sur l’arsenic, demandant une meilleure réglementation pour l’ensemble des aliments. Le texte a été publié dans le média spécialisé BMC Public Health. Selon le chercheur québécois, une limite de 100 microgrammes par kilogramme serait souhaitable, mais à 200, on éliminerait les produits qui contiennent beaucoup d’arsenic. En attendant, le chercheur ne mange pas plus d’une portion de riz par semaine, par précaution.

Parmi les aliments testés à la demande de La Presse, ceux qui contenaient le plus d’arsenic étaient des céréales de riz soufflé, biologiques. Heureusement, c’est un produit léger et on en mange peu, en poids, car deux échantillons dépassaient les 200 microgrammes. Des grains de riz brun américain soufflé contenaient même jusqu’à 490 microgrammes par kilogramme. Ce qui prouve que le mode d’agriculture n’influence pas du tout la concentration en métaux lourds, puisque la contamination ne vient pas de produits que l’on aurait ajoutés.

Les résultats de nos tests sont néanmoins rassurants pour les produits pour enfants, qu’ils contiennent du riz ou des pommes. La pomme est elle aussi souvent riche en arsenic, car un pesticide qui en contenait (de même que du plomb) a été utilisé dans les vergers jusque dans les années 70 et 80. Les résidus sont absorbés par les racines des pommiers et transférés aux fruits. 

« Le plomb reste excessivement longtemps dans le sol. L’arsenic bouge beaucoup plus vite, mais va vers la nappe phréatique, ce qui n’est pas beaucoup mieux. »

— Sébastien Sauvé, vice-doyen à la recherche et à la création de la faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal

Les Producteurs de pommes du Québec n’ont pas de programme de surveillance pour contrôler les métaux lourds dans les vergers. Des trois jus de pomme envoyés au laboratoire pour notre exercice, deux étaient québécois. Tous avaient un taux d’arsenic inférieur à 20 microgrammes par kilogramme. Les cinq purées de fruits testées, toutes aux pommes ou aux poires, ont obtenu le même résultat.

Santé Canada s’attaque à l’arsenic

Santé Canada vient d’adopter une nouvelle réglementation concernant la concentration d’arsenic dans l’eau et devait aussi agir sur le jus de pomme.

« Santé Canada a déterminé que la mise en place d’un seuil de tolérance actualisé pour l’arsenic dans le jus de pomme est prioritaire dans la catégorie des jus de fruits. Parmi ceux-ci, le jus de pomme est le plus fréquemment consommé par les enfants canadiens et au sein de ce groupe démographique, il constitue une source alimentaire d’arsenic potentiellement importante », nous avait indiqué Santé Canada, en mars.

Le ministère a toutefois fait volte-face : la révision de la norme du jus de pomme se fait attendre, mais les nouvelles limites devraient s’appliquer à tous les jus de fruits. En attendant, la norme canadienne a été fixée à un minimum de 100 microgrammes par litre dans tous les jus de fruits, mais vient d’être réduite pour le plomb.

Pour l’instant, Santé Canada n’impose pas de limite dans d’autres aliments, mais le service des communications a précisé, toujours par courriel, que des concentrations maximales dans les autres aliments, y compris le riz et les produits de riz, seraient introduites « si nécessaires ».

Ailleurs dans le monde

Très peu de pays ont établi des concentrations maximales d’arsenic dans le riz. La Chine l’a fait, imposant une limite de 150 microgrammes par kilogramme. L’Organisation mondiale de la santé n’émet pas de recommandation pour l’arsenic dans le riz, malgré la pression de la communauté scientifique qui s’intéresse à ce sujet. « C’est très politique », conclut Sébastien Sauvé, qui croit que certains pays exportateurs de riz font pression de leur côté pour le maintien du statu quo, ce qui leur permet de vendre du riz riche en arsenic à l’insu des consommateurs.

Dans un monde où de plus en plus de gens se tournent vers le riz pour éviter le gluten ou vers les boissons de riz pour éviter le lactose ou les produits d’origine animale, des spécialistes appellent à la prudence.

Au Canada, l’Agence canadienne d’inspection des aliments fait de la surveillance. Elle s’intéresse aux aliments sensibles, produits de riz (dont le saké) et de fruits. Ses rapports confirment que l’arsenic est très présent dans notre alimentation. Dans son plus récent rapport (2011-2013), 2015 échantillons d’aliments achetés dans des épiceries et magasins spécialisés de 11 villes canadiennes sont évalués. Résultat : 87 % des produits contenaient de l’arsenic à un niveau détectable, mais tous les produits de riz en contenaient.

D’où vient l’arsenic ?

On a tous en tête le pouding à l’arsenic servi à Astérix et Obélix – qui n’avait pas donné les résultats escomptés, par ailleurs. L’image fait croire que l’arsenic est un rare poison. C’est loin d’être le cas : l’arsenic est présent dans les roches, les sols et l’eau souterraine, il se trouve donc aussi dans les produits qui poussent dans le sol. L’arsenic n’a ni goût ni odeur. Dans un même pays, la quantité d’arsenic peut varier d’une région à l’autre. Par exemple, le magazine américain Consumer Reports a calculé en 2014 que le riz de Californie contenait en moyenne 38 % moins d’arsenic que l’ensemble des riz américains.

Organique

L’arsenic organique, moins toxique, est principalement présent dans les poissons et les fruits de mer.

Inorganique

L’arsenic inorganique se trouve dans les sols, les sédiments et l’eau souterraine. C’est celui que l’on redoute, car il est plus toxique que l’arsenic de la mer.

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Comment l’éviter ?

S’il est partout, comment éviter l’arsenic dans son alimentation ?

Manger varié

C’est le premier conseil de tous les nutritionnistes. En optant pour une alimentation variée, on évite de trop consommer d’éléments indésirables, que ce soit le mercure du poisson ou l’arsenic du riz. Avec la popularité des diètes sans gluten, plusieurs personnes se tournent vers des produits à base de riz. Le millet et le quinoa, pour ne nommer qu’eux, contiennent beaucoup moins d’arsenic et font d’excellents plats de salades ou de sautés. Variez aussi vos jus, recommande le site Arsenic & You de l’Université Dartmouth.

Le dilemme du riz brun

Le riz brun contient plus de fibres et de nutriments positifs. Le hic, c’est qu’il contient aussi, en général, plus d’arsenic – qui se loge dans la partie extérieure du grain, enlevée lorsqu’on fait du riz blanc. Selon le site Arsenic & You, il faut limiter sa consommation de riz en général et de riz brun en particulier. Le groupe conseille aussi de limiter les produits de riz, comme les galettes, les craquelins, mais aussi le sirop de riz brun. Le magazine américain Consumer Reports a calculé que le riz brun contenait en moyenne 80 % plus d’arsenic que le blanc.

Rincer son riz

Environ la moitié de l’arsenic disparaît lorsque l’on rince le riz et que l’on utilise de l’eau qui contient peu d’arsenic, a calculé une étude indienne de 2006 de l’Université de Jadavpur. La technique est on ne peut plus simple : vous immergez le riz et vous le rincez jusqu’à ce que l’eau soit claire, et non laiteuse.

Cuisiner avec plus d’eau

Il y a deux façons de faire cuire son riz : avec la quantité d’eau qui sera absorbée – la quantité dépend de la variété de riz – ou alors à grande eau, comme les pâtes. Vous égouttez le riz une fois cuit. Cette deuxième méthode dilue la quantité d’arsenic qui se retrouvera dans les grains de riz.

Utiliser une cafetière !

Dans une vidéo en ligne, le professeur de l’Université Queen’s de Belfast Andy Meharg conseille de cuire le riz… dans une cafetière. On n’a qu’à placer le riz dans le filtre et l’arsenic sera évacué dans l’eau qui se retrouvera dans la carafe. Nous avons fait le test : le riz « minute » était cuit, mais encore ferme, ce qui n’était pas désagréable. Par contre, un riz basmati était nettement trop croquant cuit à la cafetière, même après deux passages d’eau. Ça fera si on l’ajoute ensuite à un plat qui contient du liquide. Sinon, il faut considérer la technique comme un moyen de le rincer plutôt que de le cuire !

Faire tester son eau

Le professeur Sébastien Sauvé considère que la quantité d’arsenic permise dans l’eau potable est déjà dans une zone de compromis, qui permet de ne pas stigmatiser certaines régions où l’eau souterraine est riche en métaux lourds. « À Montréal, il n’y a pas de problème, mais dans certaines régions, oui, l’eau souterraine et les puits artésiens [contiennent des métaux lourds] », dit ce spécialiste. Il conseille aux gens qui font tester l’eau de leur puits pour les bactéries de s’intéresser aussi à la concentration de métaux lourds qu’on y trouve.

Installer un filtre

Le Portail santé mieux-être du gouvernement du Québec rappelle que « faire bouillir l’eau pour éliminer l’arsenic est inutile, car il ne s’évapore pas. Cela pourrait même faire augmenter la concentration d’arsenic dans l’eau ». « Vous pouvez installer un purificateur d’eau domestique pour faire diminuer la concentration d’arsenic dans l’eau à un niveau acceptable. » On recommande de bien entretenir le système et de faire tout de même tester l’eau traitée chaque année.

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Les effets des métaux lourds

« En toxicologie, on dit que l’effet dépend de la dose. Dans le cas des métaux, et de l’arsenic, l’effet à faibles doses est présent et on n’a pas déterminé de niveau sans effet, donc il faut l’éliminer le plus possible », affirme Patrick Levallois, médecin spécialiste en santé publique et médecine préventive à l’Institut national de santé publique.

Exposition de courte durée 

« Une exposition de courte durée (plusieurs jours ou semaines) à des concentrations très élevées d’arsenic inorganique peut provoquer divers effets sur la santé, dont des effets sur la peau, des nausées, des diarrhées, des vomissements et l’engourdissement des mains et des pieds », prévient Santé Canada.

Diabète 

L’arsenic agit sur le fonctionnement cellulaire, explique Patrick Levallois, de l’Institut national de santé publique. M. Levallois a participé à une étude sur le diabète et la consommation d’arsenic. Contrairement à d’autres, cette étude, dont les résultats ont été publiés en février dernier, n’a pas confirmé de lien entre le diabète et la présence d’arsenic dans le corps. Mais ce lien est très difficile à établir, car la mesure de l’arsenic est limitée dans le temps, alors que le développement de la maladie se fait sur des années. « Il faudrait des études prospectives où l’on mesurerait l’exposition à l’arsenic sur plusieurs années et qu’on voie s’il y a apparition de diabète », affirme le chercheur. Le groupe a utilisé des données de Statistique Canada qui établit que le niveau d’arsenic est stable dans la population canadienne depuis 2009.

Cancers 

Si certains effets de l’arsenic se font sentir rapidement, d’autres conséquences de la toxicité se calculent à plus long terme. « L’exposition à long terme (pendant plusieurs années ou plusieurs décennies) à des concentrations élevées d’arsenic inorganique contribue au risque de développer certains cancers chez l’humain et peut affecter le tractus gastro-intestinal, les reins, le foie, les poumons et l’épiderme », estime Santé Canada. En 2012, une étude de l’École de santé publique de l’Université de Californie à Berkeley menée sur des Chiliens exposés à de l’eau contaminée à l’arsenic alors qu’ils étaient petits ou même avant leur naissance a conclu à un risque accru de cancer du foie, du poumon et des reins dans la trentaine et la quarantaine.

100 % 

On ne peut pas prendre les métaux lourds à la légère : l’organisme responsable de la santé publique en France a fait des tests sur 4000 femmes enceintes l’année dernière. Le groupe voulait observer la présence de 13 polluants dans le corps de ces futures mamans. « Tous sont cancérogènes ou suspectés d’être des perturbateurs endocriniens », avait alors déclaré Clémence Fillol, responsable de l’unité de biosurveillance à Santé publique France au quotidien Le Parisien. Résultats ? Deux substances étaient présentes dans les analyses de toutes les femmes : l’arsenic et le plomb.

Qui est à risque ? 

Les gens qui boivent l’eau tirée de leur puits 

Les femmes enceintes, les bébés, les enfants 

Les gens qui mangent régulièrement beaucoup de riz 

Les fumeurs – plus sensibles aux effets cancérogènes de l’arsenic

Source : Arsenic & You, de l’Université de Darmouth

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Les résultats

Nous avons voulu vérifier si l’arsenic était présent à un niveau détectable dans les produits à risque. Nous avons acheté 25 aliments, du riz, des produits à base de riz, de pommes ou de poires. Ils provenaient de différents commerces de la région de Montréal, tant des boutiques d’aliments santé que des magasins au rabais où l’on trouve de tout, y compris de la nourriture. Notre exercice confirme la tendance : l’arsenic est partout où on le cherche, en quantité variable.

Quoi, pas de noms ? 

L’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), qui surveille le contenu en arsenic dans les produits d’épicerie, ne dévoile pas les noms des produits testés. « Notre objectif n’est pas d’identifier des produits spécifiques », dit Jeff van de Riet, gestionnaire national, coordination des laboratoires en chimie à la direction de la science de la salubrité des aliments. L’ACIA veut plutôt voir la tendance pour certaines catégories d’aliments. Nous avons opté pour la même démarche : comme le contenu en arsenic varie d’une production à une autre, pour un même aliment, nous ne voulions pas stigmatiser un produit, mais plutôt démontrer que l’arsenic est partout. Démonstration faite : nos résultats concordent tout à fait avec ceux de l’ACIA, mais sont un peu plus faibles pour ce qui est du riz, et ce, pour une raison bien pratique : nous avons cuit le riz avant de le faire analyser, afin que les données soient conformes à ce qui se retrouve dans notre assiette. Jeff van de Riet précise que si l’ACIA trouvait des produits qui peuvent menacer la santé des Canadiens, ils lanceraient un rappel, ce qui n’a jamais été fait pour l’arsenic.

Riz

Cinq riz ont été testés : ils contenaient tous de l’arsenic, de 0,03 mg/kg à 0,11 mg/kg. Sans surprise, le riz le plus riche en arsenic était l’un des deux riz bruns étudiés, un riz brun au jasmin de la Thaïlande. L’autre, le riz précuit brun à grains entiers à cuisson minute, a bien fait, avec 0,05 mg/kg. 

Céréales de riz

C’est dans les céréales de riz que les analyses ont trouvé les plus hauts taux d’arsenic. Il y avait quatre échantillons analysés. Si deux ont montré des quantités négligeables, des grains de riz brun américain soufflés, et biologiques, ont atteint un taux de 0,49 mg/kg. Une autre céréale de riz bio contenait 0,25 mg d’arsenic par kilo. Heureusement, on consomme de petites quantités, en poids, de céréales soufflées.

Jus

Excellente nouvelle : les trois jus de pommes testés, deux jus de pomme frais et un troisième destiné aux nourrissons, contenaient tous des quantités d’arsenic sous les seuils de 0,02 mg/kg.

Purées

Autre très bonne nouvelle : toutes les purées testées étaient sous ce même seuil de 0,02 mg/kg. Nous avions choisi cinq produits destinés aux nourrissons et aux enfants.

Boissons de riz

Nous avons fait analyser deux boissons de riz achetées dans les sections de produits naturels des supermarchés. Elles ont toutes deux bien fait, avec des seuils très bas.

Craquelins de riz

Trois produits sont passés par le laboratoire, des craquelins non aromatisés ou au fromage, ainsi que des biscottes à la banane pour petits. Les deux derniers provenaient de Chine. Les analystes ont détecté des taux de 0,11 mg/kg, de 0,13 mg/kg et de 0,11 mg/kg.

Pâtes

Souvent prisés par les gens qui évitent le gluten, les trois spécimens de pâtes de riz testés contenaient peu d’arsenic.

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