CATHERINE BEAUCHEMIN-PINARD

Héritière de Nicolas Gill

Le judoka Antoine Valois-Fortier passait sous le radar médiatique avant de gagner une médaille de bronze aux Jeux olympiques de Londres en 2012. Sa coéquipière Catherine Beauchemin-Pinard se trouve dans une position similaire à la veille de ses premiers JO.

« J’aimerais que ça reste comme ça jusqu’à Rio ! », lance Nicolas Gill en riant. En 1992, l’entraîneur-chef du Canada avait lui-même abordé les Jeux de Barcelone dans l’anonymat. « Personne ne connaissait même le sport ! », s’amuse-t-il près de 25 ans plus tard.

Sa « naïveté » l’avait bien servi. Si lui visait l’or, les médias avaient accueilli sa médaille de bronze comme une grande surprise. Deux douzaines de journalistes canadiens l’attendaient à sa sortie du contrôle antidopage. « Dans ma tête, il y avait trois journalistes qui couvraient les Jeux. Je n’avais aucune idée de l’ampleur et de l’impact que ça aurait. »

Gill ne se doutait pas non plus de l’influence qu’il exercerait sur toute une génération de judokas. Encore aujourd’hui, le quadruple athlète olympique ignore son impact direct sur le cheminement de Beauchemin-Pinard, qu’il dirige depuis 2012 au centre national d’entraînement de Montréal.

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L’athlète originaire de Saint-Hubert s’en souvient très bien. Elle avait 9 ans lorsqu’elle est tombée sur un texte portant sur Gill dans son manuel scolaire de français. Il racontait comment il avait eu la « piqûre pour le judo ».

Ces mots avaient marqué la jeune lectrice, qui en avait parlé à ses parents en rentrant à la maison : « Maman, papa, je veux avoir la piqûre pour le judo ! »

« C’est fou à quel point je m’en rappelle, s’amuse Beauchemin-Pinard, 12 ans plus tard. Mes parents n’ont pas voulu m’inscrire tout de suite. Ils pensaient que c’était une passade. »

Benjamine d’une famille de trois enfants, elle n’était pas la plus sportive. Le soccer, le trampoline, la danse ne l’avaient pas accrochée plus que ça. Ses capacités cardiorespiratoires étaient ordinaires et elle était même « un peu boulotte » de son propre aveu. Mais son intérêt pour le judo ne s’est jamais démenti.

« J’ai la tête dure », explique Beauchemin-Pinard, rencontrée la semaine dernière lors de la remise de bourses Banque Nationale de la Fondation de l’athlète d’excellence. 

« Quand je veux quelque chose, je le veux tout de suite et pas demain. Je pense que c’est un peu avec ce caractère-là que j’ai pu aller chercher mon côté athlétique. »

— Catherine Beauchemin-Pinard

Sans être une naturelle, elle a gravi les échelons un à un sous la gouverne de l’entraîneur Frédéric Féréal, au Club de judo Saint-Hubert. Elle a remporté des médailles d’or aux Jeux du Québec et du Canada avant d’émerger sur la scène internationale dans les rangs juniors. Elle a gagné l’argent et le bronze aux Mondiaux de 2013 et 2014, ce qu’aucun autre judoka canadien n’a accompli.

« Ce n’était pas la plus douée, pas la fille dont tu dis à un très jeune âge : wow, quel talent ! », témoigne Gill.

Une détermination hors du commun animait cependant la jeune athlète. « Elle est excessivement forte physiquement, ajoute le double médaillé olympique. Elle est très endurante. Elle est tough, hargneuse. Elle est faite pour se chamailler ! Elle a l’espèce d’état d’esprit qu’il faut pour un sport de combat. »

Avant toute chose, la médaillée d’argent des Jeux panaméricains de Toronto adore son sport. « Je trouvais ça amusant, le judo. Si je ne m’amusais pas encore aujourd’hui, je pense que je n’en ferais plus. »

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Beauchemin-Pinard, 21 ans, a connu des débuts éclatants dans la catégorie sénior, remportant trois tournois importants à l’été 2014. Ces victoires l’ont placée dans une position enviable dès l’ouverture du processus de sélection pour Rio de Janeiro. Classée huitième au monde, sa qualification est presque une formalité.

Aux Mondiaux d’Astana, l’été dernier, elle a terminé cinquième, échappant une médaille de bronze sur une pénalité en prolongation contre la Mongole Sumiya Dorjsuren, aujourd’hui numéro un mondiale. Sa cinquième place chez les 57 kg égalait le meilleur résultat de l’histoire pour une judoka canadienne.

« J’ai fait cinq gros combats cette journée-là, rappelle la ceinture noire troisième dan. Ça aurait pu être cinq combats de finale dans un grand chelem. […] J’étais contente de ma journée, mais déçue d’avoir perdu [le dernier combat] et juste par un shido [punition, NDLR]. En même temps, je réalisais que peu de filles [au Canada] avaient déjà réussi une performance comme celle-là. »

La judoka de 21 ans prétendra au podium durant au moins les cinq prochaines années, selon Gill. « Est-ce que ça se fera à Rio, aux championnats du monde de 2017, 2018 ? Ça, je ne pourrais pas le dire. »

Beauchemin-Pinard ne veut pas brûler les étapes. Avec son préparateur mental, elle travaille depuis des mois son approche de ses premiers Jeux olympiques. Elle ne ferme pas la porte à une médaille, mais se satisferait d’accéder aux quarts de finale, ce qui lui garantirait une place parmi les sept premières.

« Je ne vois pas pourquoi je me mettrais de la pression avec ça, précise-t-elle. Le monde a des attentes, j’ai les miennes. Je ferai du mieux que je peux rendue aux Jeux. » De sages paroles qui devraient rassurer son inspirateur.

Le juste poids

L’émergence de Catherine Beauchemin-Pinard a coïncidé avec son entrée dans une nouvelle catégorie de poids. En 2013, la judoka de Saint-Hubert est passée des 63 kg aux 57 kg. Son poids naturel oscillant autour de 61 kg, elle pouvait se permettre ce changement sans s’imposer de régimes draconiens avant la pesée. D’un coup, ses opposantes sont devenues moins grandes et moins fortes. « C’est fou comment je finis mieux mes combats maintenant, note-t-elle. J’ai l’impression que je peux durer plus longtemps. » En revanche, elle ne regrette pas d’être restée plusieurs années dans la catégorie supérieure, un conseil que lui avait donné son premier entraîneur et mentor Frédéric Féréal. « Il y a des athlètes qui se forcent à faire une catégorie de poids, mais qui se tannent du judo parce qu’ils doivent toujours faire des régimes. […] Moi, dans les camps d’entraînement, je peux me concentrer sur la qualité de mon judo et non sur des pertes de poids. »

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