Livre L’Esprit en marche

Ne pas céder un centimètre à la religion

Ces chroniques variées de Normand Baillargeon invitent à pousser plus avant la réflexion sur des enjeux qui touchent toutes les sphères de nos vies, notamment la place de la religion dans notre société.

On entend parfois, de la part de certains intellectuels, des appels à la modération dans la critique des religions, ces appels étant typiquement accompagnés de l’idée que la victoire de la laïcité est désormais complète et que la religion est maintenant si faible que ce serait s’acharner sans panache sur un cadavre que de continuer à la railler. Je récuse ces idées de toutes mes forces.

D’abord parce que d’innombrables formes de traitement préférentiel semblables à celles évoquées plus haut les invalident.

Ensuite parce qu’il faut se souvenir de la puissance de l’ennemi qu’il a fallu combattre pour gagner, centimètre par centimètre, cette laïcité de l’espace public qui n’est pas encore entièrement complétée, loin de là, et pour faire reculer l’étouffante et parfois néfaste omniprésence de la religion dans nos vies individuelles et dans notre vie collective. Comment pourrait-on l’oublier et comment, se le rappelant, ne pas avoir la ferme résolution de ne plus jamais céder un seul centimètre à la religion ?

Je suis convaincu qu’un très grand nombre de familles québécoises ont subi par la religion des torts immenses.

Qui au Québec n’a pas dans sa famille une histoire d’horreur mettant en cause un représentant de l’Église ? Ici c’est un curé qui a insisté pour que l’on choisisse la vie de l’enfant plutôt que celle de la mère. Là c’est un autre qui a conseillé à un enfant venu se plaindre de mauvais traitements paternels de se taire et de « respecter son père ». Ailleurs c’est un jeune qu’on a manipulé et qui est devenu, contre son gré, prêtre ou frère. Ailleurs encore, un autre qui l’est devenu parce que c’était sa seule chance de poursuivre des études et qui a ainsi raté sa vie. Ou bien c’est un prêtre pédophile que l’on tolérait dans la famille par crainte des représailles.

Sans compter toutes ces femmes devenues malades, trop tôt vieillies ou même mortes parce que « monsieur le curé » interdisait sous peine d’enfer « d’empêcher la famille ». Et sans parler non plus de ces immondes « prêcheurs » aux cheveux gominés et au discours débile qui sont à la tête d’Églises exemptes d’impôts et qui détroussent sans vergogne de vieilles personnes naïves, fragiles, souvent malades, des économies de toute une vie en leur faisant croire mille sottises, les moindres n’étant pas qu’ils peuvent faire des miracles ou effectuer des guérisons par imposition des mains.

Je l’avoue : tout cela, très sincèrement, me donne la nausée, et je répète que je trouve extrêmement dangereuse l’illusion aujourd’hui trop répandue selon laquelle la religion serait désormais chez nous une chose bénigne.

Les grandes et puissantes religions qui existent en ce moment n’ont pas toujours existé ; d’innombrables religions ont disparu. Celles qui subsistent présentent donc, par définition, des propriétés qui leur ont permis de survivre ; elles sont pour cela même d’une grande force et elles ne doivent en aucun cas être prises à la légère.

Pour toutes ces raisons, je me méfie profondément de toutes ces formes de concordisme, notamment avec la science et la rationalité mises de l’avant ici et là. Entre la science, la rationalité et la religion, il y a, pour reprendre la belle expression de Jean Bricmont, un irréductible antagonisme que rien ne pourra résorber, et surtout pas cette illusion entretenue par certains et selon laquelle religion et science constitueraient des sphères de pensée distinctes et complémentaires. Cela est capital, et un homme comme moi, issu du siècle des Lumières, ne saurait l’oublier.

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