Chronique

L’humain avant le chien

Je vous demande de cliquer sur le lien sous ce paragraphe avant de poursuivre la lecture de cette chronique. C’est une vidéo montrant c’est quoi, une attaque de pitbull. Parce qu’il faut savoir de quoi on parle, quand on parle d’une attaque de pitbull.

Voilà.

Quatre hommes tentent de faire lâcher prise au pitbull. Dont son maître. Pendant au moins trois minutes.

Et ça ne marche pas.

C’est ça, la poigne d’un pitbull. Quand ça décide de ne pas lâcher le morceau – le flanc d’un chien, le bras d’un homme, le cou d’une fillette –, ça ne le lâche pas.

Alors je veux bien qu’on me dise, du côté des experts en comportement canin, qu’interdire les pitbulls ne fera pas baisser le nombre de morsures. Je veux bien que les amis des pitous me disent que l’interdiction des pitbulls en Ontario n’a pas fait chuter le nombre de morsures, sauf qu’il s’agit là d’un malentendu savamment entretenu : les morsures de caniche, de labrador, de bouvier bernois ou de Jack Russell ne sont pas aussi graves que celles des pitbulls, désolé.

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Dans ce débat, le lobby des pitbulls utilise les mêmes tactiques que le lobby des armes et que le lobby des hydrocarbures. Désinformation, fausses équivalences, appel au proverbial gros bon sens : toutes les armes sont bonnes pour nous faire croire que le pitbull est aussi inoffensif qu’un yorkshire.

J’utilise le mot « lobby » à dessein. Aux États-Unis, les associations de sauvetage des pitbulls disposent de vastes ressources financières pour faire valoir leur point de vue. Le but est simple : semer le doute sur la dangerosité des pitbulls. Ces lobbies donnent des demi-vérités que les amis des pitbulls disséminent avec une virulence qui n’est pas très différente de celle démontrée par les amis des armes à feu.

Au lobby des armes, le lobby des pitbulls a d’ailleurs emprunté le vieux raccourci selon lequel « les armes ne tuent personne, les gens tuent les gens » : il n’y aurait ainsi pas de mauvais pitbulls, juste de mauvais maîtres, au bout de la laisse de l’animal…

Raisonnement parfaitement superflu : la fillette qui se fait arracher la moitié de la face par le pitbull de son voisin a-t-elle la face moins arrachée parce que l’attaque est attribuable à un « mauvais » maître ?

Réponse : non. Elle est quand même défigurée.

Tous les chiens peuvent mordre, nous disent les amis des animaux, et tous les chiens peuvent blesser.

Vrai.

Mais ce ne sont pas tous les chiens qui ont une mâchoire et une brutalité qui peuvent déboucher sur des blessures catastrophiques, sur des membres arrachés, sur des personnes défigurées. Tous les chiens peuvent mordre, oui, mais tous les chiens n’ont pas un piège à ours en guise de mâchoires… comme les pitbulls.

C’est ça, la folie, dans ce débat : ces chiens sont des armes, comme le soulignait Joseph Facal dans sa fort pertinente chronique du JdeM, récemment. Et il n’est pas normal qu’un chien qui ne lâchera parfois sa proie qu’après qu’un flic l’aura abattu avec son arme puisse vivre parmi des êtres humains.

Au lobby des hydrocarbures, le lobby des pitbulls a emprunté les écrans de fumée destinés à semer la confusion sur les données, sur les conclusions des études, sur l’objectivité des scientifiques. On subodore le complot. Mais le supposé complot anti-pitbull est aussi stupide que le supposé complot anti-pétrole : quel est l’intérêt de ceux qui font ces recherches, à la fin ?

Les quatre épidémiologistes canadiens qui ont publié une étude dans une revue scientifique britannique, étude qui montre que l’interdiction des pitbulls à Winnipeg a contribué à faire baisser les hospitalisations post-morsures, quel est leur intérêt, dans ce supposé complot anti-pitbulls ? Faire vendre plus de chiens-saucisses ?

Idem pour les chercheurs qui ont illustré la baisse des hospitalisations post-morsures en Catalogne, après l’adoption de mesures restrictives sévères visant certains chiens potentiellement dangereux (dont les pitbulls) : quel est leur intérêt « caché », ici ? Servir le puissant lobby EDNPED (Enfants Désirant Ne Pas Être Défigurés) ?

Il n’y a pas de complot. Il n’y a que des traumatisés à vie, de l’âme ou du corps, bien souvent les deux, après l’attaque d’un pitbull. Et la société tolère ces chiens dangereux au nom… Au nom de quoi, au fait ? Du droit inaliénable à posséder un animal domestique dangereux ? Ce droit n’existe nulle part.

Dans ce débat cinglé, les amis des pitbulls nous demandent s’il faudra interdire, après, tous les gros chiens qui peuvent blesser, en mordant…

Réponse : pourquoi pas ?

Dans ce débat cinglé, je suis du bord de Vanessa Biron, cette petite fille de 8 ans mordue par les deux pitbulls d’un salaud, dans un parc de Brossard, histoire épouvantable rapportée par Marie-Claude Malboeuf dans sa terrifiante série d’il y a deux semaines. Dans ce débat-là, je dis : phoque les chiens, je suis du bord des humains. Ce sont toujours juste bien des chiens.

Oui, c’est ce que j’ai écrit : juste des chiens. Et la vie d’un humain vaut plus que celle d’un chien, il faut dire cette vérité de nos jours, semble-t-il, notamment à la SPCA, un organisme à qui je ne donnerai jamais une cenne, tant que son aveuglement pro-pitbull tentera de faire croire au public qu’un pitbull et un chien-saucisse, c’est la même affaire.

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Dans ce débat lancé par la série de Marie-Claude Malboeuf, on a beaucoup interpellé les élus de Montréal.

Responsabilité de la ville centre ?

Des arrondissements ?

Et vous, monsieur le Maire, qu’en pensez-vous ?

On s’en fout : la solution n’est pas dans les villes. C’est au gouvernement du Québec d’agir.

L’exemple de l’Ontario (et celui de la Catalogne) sont probants : ce sont des lois d’État qui s’imposent, pas un archipel de règlements municipaux disparates. Car la fillette de Brossard a autant le droit de faire sa vie avec un visage intact que le petit garçon de Montréal ou la grand-mère de Shawinigan.

Permettez-moi de conclure avec une autre vidéo, qui collige des attaques de pitbulls. Des attaques sur des humains. Ces images peuvent choquer et sont sanglantes.

Voulez-vous des chiens comme ça dans votre quartier ?

Pas moi.

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