Le pot récréatif sera vendu par le privé

L’encadrement réglementaire de la vente sera serré, selon Québec, qui aurait écarté les options de la SAQ, des pharmacies et des dépanneurs

QUÉBEC — C’est l’entreprise privée, avec un encadrement réglementaire serré, qui, au Québec, sera responsable de la vente de cannabis au détail, une fois la légalisation prévue pour juillet 2018 en vigueur. Après trois réunions, le comité ministériel chargé de définir le plan de match pour cette opération délicate a, en pratique, éliminé les autres options, a appris La Presse.

La décision n’est pas arrêtée, dira-t-on publiquement, mais le choix du « privé encadré » est « probable », a confié une source proche du comité ministériel ad hoc formé pour préparer la légalisation de juillet 2018. On vise le dépôt d’un projet de loi tôt à la reprise des travaux de l’Assemblée nationale, à l’automne, pour s’assurer qu’il  pourra être adopté avant juillet 2018.

Dépanneurs et pharmacies écartés

Le groupe présidé par la ministre déléguée à la Santé publique Lucie Charlebois a d’entrée de jeu éliminé l’hypothèse de confier aux dépanneurs la vente du cannabis récréatif. Un rapport de la Direction de la santé publique, à la fin de 2016, repoussait déjà l’idée de confier aux dépanneurs la vente du pot

On veut pouvoir contrôler les endroits où le produit sera vendu – pas question d’autoriser la vente près des écoles ou d’approuver une concentration de vendeurs dans des zones défavorisées. Le directeur national de la santé publique, le Dr Horacio Arruda, est membre du comité et s’assure que les orientations prises respectent les objectifs de son organisme.

Une autre option était celle du réseau actuel de pharmacies. Or il est apparu rapidement que si ces établissements pouvaient vendre le pot thérapeutique, il serait étrange, voire « contre nature », d’y vendre la version récréative du produit, puisqu’elles ne peuvent vendre de tabac, un produit nocif pour la santé.

Sans la SAQ

Depuis le début du débat, le ministre des Finances Carlos Leitão a indiqué qu’il n’était pas question de vendre de la marijuana dans les succursales de la Société des alcools du Québec (SAQ). Certains ont planché sur un nouveau réseau de commercialisation, qui serait sous la responsabilité de la SAQ, mais cette option est écartée.

Premièrement, membre du comité ministériel, Martin Coiteux est opposé à l’instauration de tout nouveau monopole d’État. 

Mais surtout, Québec voit bien peu d’avantages à payer pour la mise en place d’un nouveau réseau de distribution public, surtout s’il devait se partager le marché avec le secteur privé et même la vente par la poste, confie-t-on.

Le privé pourrait néanmoins fonctionner en parallèle avec un réseau public. On relève que les succursales de la SAQ vendent de la bière ; le produit n’est pas réservé aux épiceries. De plus, les appareils de loterie vidéo se retrouvent dans les bars, mais également dans les salons de jeu, sous la responsabilité de Loto-Québec. 

Québec veut encadrer l’endroit où les vendeurs s’établiront, afin d’éviter qu’ils se multiplient dans les quartiers défavorisés, par exemple. Les municipalités auront le pouvoir de déterminer l’emplacement de ces commerces sur leur territoire.

Québec a déjà annoncé qu’il voulait s’arrimer avec l’Ontario – la province voisine misait beaucoup sur son réseau de distribution d’alcool (LCBO) au début, mais semble plus récemment y voir les mêmes désavantages que Québec du point de vue de la santé publique. L’alcool augmente les effets de la drogue.

18 ans 

Le Québec est déterminé à fixer à 18 ans l’âge légal pour acheter du cannabis, même si l’Ontario a fixé à 19 ans l’âge où il est permis d’acheter de l’alcool et pourrait être tenté de fixer la barre au même niveau pour le pot

Le comité n’a guère progressé sur les questions de sécurité publique ; on sait cependant que les tests de THC, l’ingrédient actif de la marijuana, à partir de la salive des conducteurs sont encore approximatifs, conclut-on. Par ailleurs, on ne sait pas comment gérer l’autorisation, prévue par Ottawa, pour les citoyens de faire pousser jusqu’à quatre plants de cannabis pour leur usage personnel. La loi prévoit qu’ils ne devront pas mesurer plus d’un mètre, mais « qui va aller mesurer ? », demande-t-on au comité québécois.

La formule des dispensaires ?

À Québec, on observe avec attention le système de « dispensaires » mis en place par certains États américains, soit des établissements spécialisés dans la vente de pot contrôlés par l’État. Ces commerces devraient obtenir des permis très étroitement contrôlés. « Privé » ne veut pas nécessairement dire à but lucratif, indique-t-on par ailleurs. Des OSBL pourraient ainsi mettre en place ces commerces, mais on n’est pas certain que ce soit applicable partout.

À l’origine, la Santé publique avait tenu pour acquis que le Québec aurait à contrôler la production du cannabis récréatif. Or, le projet de loi déposé aux Communes précise que le produit devra porter un timbre délivré par Ottawa avant d’être mis en marché, comme le tabac. 

La loi québécoise s’inspirera aussi passablement de celle sur le tabac. La publicité et la promotion du cannabis seront donc interdites.

On sait que la production sera privée, les permis aux producteurs seront délivrés par Ottawa. La distribution relève des provinces, selon le projet de loi fédéral. L’an dernier, la Santé publique suggérait qu’une agence gouvernementale soit créée par Québec pour contrôler la distribution. Au sein du comité, on penche davantage pour un scénario où les vendeurs s’approvisionneraient directement auprès des producteurs agréés.

Tout ce qui est en amont de la distribution tombe sous la responsabilité d’Ottawa. Autre surprise pour Québec dans le projet de loi : l’ouverture très claire à la vente de marijuana par la poste. Québec doit tenir compte de cette possibilité de concurrence dans l’élaboration de l’encadrement des points de vente, ainsi que dans l’établissement du prix de vente.

Pas de pactole en vue

Québec ne voit pas de pactole dans la vente de cannabis. On n’y voit pas une source de revenus importante, compte tenu des obligations que devra assumer Québec quant à la prévention. On estime, aux Finances, que le coût de production du produit est de 7 à 8 $ le gramme. Il est vendu autour de 10 $ sur le marché. On comprend déjà qu’Ottawa prévoit prendre 1 $ en taxe d’accise – les municipalités, Montréal et Québec, en ont déjà revendiqué une partie. Il ne reste guère plus de place à des droits spécifiques une fois appliquée la taxe de vente provinciale. Fixer le prix trop haut ne permettrait pas de tuer le marché noir, l’un des principaux objectifs de toute cette opération, explique-t-on.

— Denis Lessard, La Presse

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