MANIFESTATIONS À CHARLOTTESVILLE

Le début de la fin pour Trump ?

En refusant de dénoncer avec force les néonazis et suprémacistes qui hurlaient « Les Juifs ne nous remplaceront pas » dans les rues de Charlottesville, samedi dernier, Donald Trump a-t-il franchi une limite au-delà de laquelle sa présidence ne peut que foncer vers un mur ?

C’est ce que croient certains de ses critiques qui pensent que Donald Trump a amorcé son chemin vers la sortie. « On se souviendra du 15 août 2017 comme du tournant de sa soi-disant présidence, c’est la première fois que je sens que je peux le dire, on en est là », a clamé Laurence Tribe, constitutionnaliste réputé, dans une publication sur son compte Twitter, cette semaine.

Il faisait allusion à la conférence de presse surréaliste durant laquelle le président Trump est revenu sur ses propos de la veille pour affirmer qu’il y avait des « personnes très gentilles » dans les rangs des manifestants suprémacistes. Et que les contre-manifestants étaient également responsables de l’explosion de violence de Charlottesville.

Le rédacteur de l’autobiographie de Donald Trump, Tony Schwartz, est allé encore plus loin dans une entrevue à CNN, où il a prédit que le président démissionnerait « d’ici l’automne. »

Les jours qui ont suivi ce 15 août fatidique ont été marqués par un concert de critiques et de gestes par lesquels de nombreuses personnalités ont voulu prendre leurs distances avec un président volant ouvertement au secours d’un regroupement raciste.

Il y a eu la démission fracassante de Kenneth Frazier, PDG de la compagnie pharmaceutique Merck, qui a quitté le conseil des manufacturiers mis sur pied par Donald Trump. La saignée s’est poursuivie au sein de ce groupe représentant l’élite économique du pays, ce qui a forcé le président à le dissoudre.

Puis, des organisations comme l’Association américaine du cancer ont choisi de boycotter la propriété de Donald Trump en Floride, où elles avaient l’habitude de tenir leur campagne de financement annuelle.

Des politiciens, dont d’éminents républicains, ont ajouté leur voix à cette pluie de dénonciations. Parmi les plus remarqués : le sénateur Bob Corker, considéré comme proche du président, qui a déclaré, deux fois plutôt qu’une, que celui-ci n’avait pas encore fait preuve « de la stabilité et de la compétence » pour exercer ses fonctions.

« Donald Trump a montré ses vraies couleurs, il ne protège pas la Constitution. » 

— Le commentateur David Rothkopf dans le Washington Post

Alors, la présidence de Donald Trump a-t-elle vraiment atteint un point de non-retour ? Peut-être, mais cela ne signifie pas qu’il ne se rendra pas au terme de son mandat, selon des analystes qui suivent la politique américaine de près.

« Ce n’est pas la première fois que Donald Trump semble atteindre un point de non-retour », fait valoir John R. MacArthur, éditeur du magazine Harper’s.

L’art de s’en sortir

Depuis la fameuse vidéo de campagne électorale où on entendait le candidat Trump se vanter vulgairement de son pouvoir d’agresser les femmes en passant par ses insultes contre le républicain John McCain, Donald Trump a transgressé de nombreux tabous et s’en est toujours tiré plus ou moins indemne.

À son échelle, ses déclarations sur Charlottesville ne sont pas hors norme, estime John R. MacArthur.

Sa véritable transgression, au cours des derniers jours, est ailleurs. Elle est dans les insultes qu’il a proférées à l’endroit de Mitch McConnell, leader de la majorité républicaine au Sénat, qu’il a traité de tous les noms, lui imputant l’échec de sa réforme de la santé.

« Mitch, retourne travailler », a gazouillé le président Trump après avoir traité le sénateur républicain de nul et d’incompétent.

Aux yeux de John R. MacArthur, c’était la goutte qui a fait déborder le vase. Jusqu’à maintenant, les élus républicains restaient relativement unis derrière leur président, dans l’espoir que celui-ci adopte des projets de loi qui leur sont chers, notamment pour baisser les impôts et alléger la réglementation.

Mais Donald Trump « n’a rien fait jusqu’à maintenant ». Et il tire le tapis sous les pieds des sénateurs républicains en insultant ouvertement leur chef. Comment fera-t-il dorénavant pour promulguer des lois ? demande John R. MacArthur.

Isolé plus que jamais

Le vrai prix que paie aujourd’hui Donald Trump pour ses dernières frasques, c’est un isolement sans précédent, renchérit Vincent Boucher, spécialiste des États-Unis à la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM.

Dans l’affaire de Charlottesville, « aucun républicain n’a cautionné ses propos, personne ne s’est rangé derrière lui », constate-t-il. En fait, selon Vincent Boucher, Donald Trump « avait une occasion en or de se présenter comme une voix significative, et il l’a gaspillée ».

« Aujourd’hui, il n’est le président d’aucun parti. »

Sa réaction chaotique à la tragédie de Charlottesville a accentué l’isolement de Donald Trump, renchérit John R. MacArthur. Ce dernier croit que dorénavant, l’establishment républicain est en train de laisser tomber Trump, mais en douceur, pour éviter de s’aliéner sa base électorale.

Il ne croit ni à la démission ni à la destitution prochaine du président. Pour activer le 25e amendement de la Constitution, qui permet de destituer un président inapte à exercer ses fonctions, il faut un vote des élus de la Chambre des représentants, où les républicains sont majoritaires. Il s’agit d’un cas de figure hautement improbable aujourd’hui, croit Vincent Boucher.

Les républicains sont aujourd’hui en attente des prochains rendez-vous électoraux. Celui des élections de mi-mandat, en 2018. Et la présidentielle de 2020.

Jusqu’à récemment, John R. MacArthur croyait que Donald Trump allait vraisemblablement décrocher un deuxième mandat. Il pense maintenant que celui-ci quittera la scène à l’issue du premier, dans trois ans et des poussières. Et qu’à moins d’un dénouement spectaculaire de l’enquête sur les liens entre la campagne Trump et la Russie, il faudra le tolérer d’ici là…

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