SOCIÉTÉ

Ma vie en gros

Se faire dire avec condescendance :  « On ne sert pas les grosses ici. » Se faire dire par ses parents, à chaque repas, qu’on a assez mangé. Se faire dire par un amant qu’on avait l’air moins gros habillé. Se faire crier lors d’une promenade :  « Tu devrais courir, le gros. » Ces violences dites ordinaires sont le quotidien des personnes grosses, dénonce le journaliste, chroniqueur et auteur de Québec Mickaël Bergeron dans La vie en gros, un essai où se mêlent témoignage, analyse et militantisme. Entrevue.

Les exemples cités plus haut ont tous été récoltés par Mickaël Bergeron à la suite d’un petit sondage maison. En 24 heures, il a reçu plus de 200 témoignages. « Il faut prendre conscience que la grossophobie existe, déclare celui qui est l’une des rares voix masculines de ce mouvement au Québec. On commence à en parler, mais c’est encore embryonnaire. Si on fait un vox pop dans la rue, la très grande majorité des gens n’auront jamais entendu parler de grossophobie, ils ne comprendront même pas de quoi je parle. Je veux ouvrir le débat, l’amener plus loin. »

Des préjugés en raison de son poids, Mickaël Bergeron en rencontre quotidiennement, et ce, depuis son enfance. À 12 ans, il pesait déjà 160 livres. À l’âge adulte, la balance a oscillé entre 320 et 484 livres, au gré de son niveau de bien-être. « Quand j’ai un épisode dépressif, je prends du poids, souligne-t-il. C’est clair que ça a un effet sur ma santé physique. » Depuis trois ans, il cogne à des portes pour recevoir de l’aide psychologique. « On me dit d’aller au privé. La santé mentale, ça vaudrait un livre, ça aussi. »

Au risque d’en choquer certains, Mickaël Bergeron appelle les gens à se réapproprier le terme « gros » (« gros.ses », puisqu’il utilise l’écriture inclusive). « Surpoids, embonpoint, obésité : tout le vocabulaire de manière générale est négatif. Ça donne l’impression qu’on est toujours un problème, alors que ce n’est pas le cas. Gros, ça reste un mot descriptif. Si on dit qu’un objet est gros, ça ne dit pas si l’objet est positif ou négatif. Ça dit juste que la table est grosse. »

Des préjugés banalisés

Alors que les remarques homophobes et racistes sont souvent décriées, il remarque que la grossophobie demeure un préjugé encore socialement accepté. Régulièrement, des gens dénigrent une personne grosse… devant lui. « Plusieurs personnes se permettent de rire ou de shamer et de mettre toute la responsabilité sur les épaules des gens, comme s’ils contrôlaient tout. Alors que oui, on a une influence sur notre corps, mais ce n’est pas un contrôle. » Il est important, selon lui, de prendre en considération les facteurs génétiques et le mode de vie de la société occidentale en général, sans toutefois déresponsabiliser les individus.

Mickaël Bergeron admet avoir toujours eu honte de son poids. Or, ce n’est pas en lui remettant constamment son poids sous le nez que vous le convaincrez qu’il doit en perdre. « Souvent, on a l’impression qu’en montrant à quelqu’un que quelque chose est honteux, la personne va avoir envie de sortir de cette honte-là. Ce n’est pas sain. Ça fait juste que la personne a honte. » Il interpelle d’ailleurs les parents sur l’importance qu’ils accordent au poids de leur enfant. 

« Il faut lâcher le poids. L’important, c’est : est-ce que tu as une vie saine ? » — Mickaël Bergeron

Une question que les professionnels de la santé ne posent que trop rarement à leurs patients en surpoids, déplore-t-il. « Ce n’est pas parce que tu es gros que tu es en mauvaise santé ou parce que tu es mince que tu es en bonne santé. Souvent, les médecins vont cibler le poids comme étant le problème. Ils vont attendre de traiter les autres maladies possibles tant que la personne n’aura pas perdu de poids. C’est atroce de mettre de côté le bon traitement à cause de préjugés. » 

Un médecin a déjà affirmé que ça ne donnait pas grand-chose de le soigner, étant donné son poids. D’autres ont souvent nié son asthme, attribuant ses problèmes respiratoires à son poids. « Il y a une discrimination qui est systémique. Pas nécessairement parce que les gens sont mal intentionnés, mais de la façon dont c’est bâti, ça discrimine et ça ne sert pas. Des fois, le but est d’aider, et ça n’aide pas du tout. »

Pour faire tomber les préjugés, il appelle à une prise de conscience collective, mais aussi à une meilleure diversité corporelle à l’écran. Alors qu’une personne sur cinq est considérée comme obèse au Québec, cette réalité ne se reflète pas à l’écran. « L’image populaire n’est pas du tout représentative de la société. Ça n’aide pas à aborder cette différence-là et à en parler de manière saine. » Il espère qu’à force d’être exposés à des images de corps hors normes, les gens pourront y trouver « quelque chose de beau ».

La vie en gros –  Regard sur la société et le poids

Mickaël Bergeron

Éditions Somme Toute

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