OPINION : UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

Une décision antidémocratique et autoritaire

Au-delà de ses qualités, la nomination de Frédéric Bouchard comme doyen de la faculté des arts et des sciences va à l’encontre de la volonté collective des professeurs

Monsieur le recteur Guy Breton,

C’est avec stupéfaction que nous venons d’apprendre la nomination de Frédéric Bouchard comme nouveau doyen de la faculté des arts et des sciences (FAS) de l’Université de Montréal pour un mandat de cinq ans, en remplacement de Tania Saba, actuellement doyenne par intérim.

En effet, le vote consultatif mené auprès des professeurs de la FAS au cours des derniers mois indiquait clairement que Tania Saba était le premier choix de 65,4 % des collègues ayant participé à cette consultation, alors que Frédéric Bouchard, venant en deuxième position et pourtant désigné comme doyen par la haute direction de l’Université, ne recueillait que 19,9 % des votes de premier choix.

Au-delà des qualités de Frédéric Bouchard, il apparaît donc que sa nomination va clairement à l’encontre de la volonté collective des professeurs. Il s’agit d’une décision non collégiale, pour tout dire antidémocratique et autoritaire, et qui, de plus, contrevient à tous les critères d’efficacité institutionnelle qu’on est en droit de demander à la direction d’une faculté.

Si une large majorité de collègues ont privilégié Tania Saba, c’est en effet parce qu’elle a une vaste expérience de la gestion universitaire, une très grande connaissance des rouages de la FAS et une profonde compréhension des enjeux qui s’y déploient. Elle a été responsable des études de premier cycle et des cycles supérieurs, puis directrice de l’École des relations industrielles (2008 à 2010). Elle a assumé pendant cinq ans des responsabilités de vice-doyenne et elle assure depuis deux ans l’intérim comme doyenne. 

Au cours de ces divers mandats, Tania Saba a démontré sa capacité à rallier ses collègues autour de projets stimulants, à régler des situations parfois délicates ou même conflictuelles et à faire preuve d’initiatives porteuses de changements.

Elle sait comment former des équipes et assurer leur collaboration pour aboutir à des résultats novateurs, comme elle l’a fait dans les dossiers de création de programmes en Études juives et en Récits et média autochtones et dans la mise en place de PRAXIS pour la formation continue à la FAS. Durant la dernière année, elle a mis l’accent sur l’innovation pédagogique permettant une plus grande collaboration avec les autres facultés et les partenaires de la communauté et a brillamment permis la (re)naissance de l’Institut d’études religieuses.

UN RÔLE DE LEADER

La FAS, dans son mode de fonctionnement actuel, suit le modèle adopté par les grandes universités de recherche en Amérique du Nord et cela semble lui réussir. En effet, il s’agit d’une faculté qui est particulièrement forte en recherche : 11 programmes ont été classés dans les 100 meilleurs dans le classement QS par discipline. La FAS joue donc clairement un rôle de leader en termes de recherche à l’Université qu’elle doit maintenir. Il s’agit d’une faculté qui se distingue également par sa pluridisciplinarité qui appelle des collaborations et des synergies entre ses unités.

À côté des disciplines traditionnelles, la FAS héberge plusieurs unités fortes en recherche-création et cinq écoles professionnelles et pluridisciplinaires. Plusieurs de ses programmes sont agréés par un ordre professionnel.

Tania Saba comprend la richesse que cette variété offre aux étudiants et aux chercheurs. La vision qu’elle a proposée pour la FAS est sensible à tous les besoins et possibilités en enseignement que cette variété demande ainsi que les possibilités pour la recherche qu’elle offre. 

Issue de la FAS, elle a également démontré une fidélité sans faille à la faculté dans ses actions, ce qui nous apparaît comme essentiel dans le contexte actuel. Elle pourra être à la fois vigilante sur les réformes annoncées – savoir exactement ce que seront les conséquences de ces réformes – tout en participant activement au processus. Elle a montré, avec la mise en place des groupes de réflexion intra-facultaires, qu’elle était en mesure de prendre des initiatives et de proposer des agendas de changement stimulants, cohérents, répondant aux besoins (et non décidé de manière top-down). Elle a démontré un leadership inclusif qui est sans doute le meilleur moyen de faire bouger une grande faculté et d’introduire des changements.

UNE NOMINATION CONFLICTUELLE

En d’autres termes, même si Tania Saba possède toutes les qualités requises pour exercer efficacement la fonction de doyenne, ce qu’elle a démontré au cours de son intérim, et que sa nomination permettrait d’assurer la meilleure gestion possible de la faculté dans les années à venir, vous avez choisi de nommer une autre personne qui ne présente pas les mêmes garanties et au sujet de laquelle un nombre important de collègues ont exprimé des réticences. Cela augure un mandat conflictuel et chaotique alors qu’il aurait pu être enthousiasmant et consensuel.

Cette nomination intervient, en outre, à un bien étrange moment ; pas plus tard que la semaine dernière, la FAS célébrait l’ouverture officielle de son programme de mineure en études féministes, des genres et des sexualités ; les organisatrices du Colloque inaugural de ce programme recevaient à cet effet les félicitations des collègues de l’Université Concordia, de l’Université du Québec à Montréal et de l’Université McGill. Nous aurions pu croire qu’enfin l’Université de Montréal entrait dans le XXIe siècle !

Nous apprenons aujourd’hui que vous avez préféré ne pas nommer une femme comme doyenne, même si cette femme bénéficie de l’appui de la majorité du corps professoral, laissant intact le plafond de verre qui empêche les femmes de notre institution de prétendre aux plus hautes fonctions.

Rappelons que selon un rapport sur la représentation des hommes et des femmes publié par le Conseil des universités canadiennes en 2012, les femmes représentent la moitié des chargés de cours et plus de 42 % des professeurs adjoints. Mais seuls 36 % des professeurs agrégés et 22 % des professeurs titulaires sont des femmes. À l’Université de Montréal, les chiffres 2017 compilés par le SGPUM indiquent que les femmes à la FAS représentent 43 % des professeurs adjoints et 30 % des titulaires. Quant aux Chaires de recherches du Canada, à l’Université de Montréal, en 2016, les femmes n’en détenaient que 21 %. Parmi la haute administration, les chiffres sont encore plus désolants. Au 1er septembre 2016, 19 des 97 universités membres d’Universités Canada étaient dirigées par une femme. 

PRINCIPES DÉMOCRATIQUES

Rappelons par ailleurs que le gouvernement fédéral lançait récemment aux universités une injonction à la diversité, notamment pour l’attribution des chaires de recherche du Canada. Vous aviez donc une occasion unique de renverser cette double tendance à la discrimination au décanat de la FAS et vous ne l’avez pas saisie.

De notre point de vue, la nomination de Tania Saba au poste de doyenne de la FAS s’imposait non seulement parce qu’elle aurait constitué un premier pas vers une plus grande égalité entre les hommes et les femmes à l’Université de Montréal, notamment aux postes de direction, mais surtout parce que cette nomination respectait les principes démocratiques les plus élémentaires. De fait, la nomination de Tania Saba s’imposait du simple point de vue de l’efficacité puisqu’elle maîtrise déjà les dossiers les plus cruciaux pour l’avenir de la FAS. L’argument de la compétence n’ayant pu jouer dans votre décision, nous nous interrogeons sérieusement sur vos motivations et nous vous demandons, Monsieur le Recteur, de revenir sur votre décision et de nommer Tania Saba comme doyenne de la FAS.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.