ENTREVUE PATRICK PICHETTE, CHEF DES FINANCES DE GOOGLE

Les yeux sur le Québec

Après sept ans comme numéro 2 de Google, Patrick Pichette tirera sa révérence cet été. Le chef des finances du géant californien nous confie ses projets, qui incluent une présence accrue au sein de Québec inc... et un tour du monde !

Patrick Pichette le dit d’entrée de jeu : il a un job « extraordinaire ». En plus de gérer les finances d’une entreprise évaluée à 366 milliards US en Bourse, le Québécois est responsable de toutes les ressources humaines, d’un immense parc immobilier planétaire et de plusieurs projets spéciaux chez Google.

C’est pourquoi l’annonce de son départ, après sept ans comme numéro 2 du géant californien, a pris toute la communauté financière par surprise en mars. À 52 ans, malgré tout le prestige de son poste, le grand sportif avait l’impression d’avoir « fait le tour du jardin ». Il ne se voyait pas rester dans le siège de chef de la direction financière plusieurs années encore.

« J’ai vécu sept années extraordinaires, mais je sais en quoi consisteraient les sept prochaines années si je reste chez Google, a-t-il confié pendant une longue entrevue réalisée dans les bureaux de La Presse. Le prochain job que j’aurais chez Google, ce serait celui de Larry et Sergei [NDLR : les cofondateurs de l’entreprise], et je ne pense pas qu’ils sont prêts à partir. Ils ont tellement de plaisir à bâtir la société. »

De concert avec sa femme, Patrick Pichette a décidé de s’accorder une pause professionnelle. Dès qu’il aura terminé son mandat chez Google en septembre prochain, le duo participera au rassemblement artistique Burning Man dans le désert du Nevada, avant de parcourir l’Inde, l’Antarctique, la route des Incas…

« C’est exactement le bon moment de partir faire le tour du monde, dit-il avec le sourire. On est en pleine santé, moi et mon épouse. Les enfants ont quitté, et on n’a pas encore de petits-enfants. » 

« Si tu veux te renouveler, c’est le moment parfait pour faire le tour du monde, et après ça, il me reste 25 ans à m’amuser encore. » 

— Patrick Pichette

PLUIE D’HONNEURS

Le départ de Patrick Pichette de Google coïncide avec une série d’honneurs prestigieux. Il a reçu la semaine dernière un prix pour souligner l’ensemble de sa carrière (Lifetime Achievement Award) aux Bay Area CFO of the Year Awards, à San Francisco. Plus tôt cette semaine, on lui a remis l’Ordre du Québec à l’Assemblée nationale.

Ce dernier prix semble avoir une résonance particulière pour le natif de Montréal-Nord, qui a étudié aux côtés du maire Denis Coderre. « L’Ordre du Québec, ce n’est pas juste pour toi, mais pour les prochaines générations, les gars et les filles qui sont au secondaire et au primaire, dans les mêmes polyvalentes que moi. J’étais à Montréal-Nord, ce n’était pas facile, et c’est pour la prochaine génération qui monte qu’on accepte ça. »

S’il envisage avec enthousiasme les « aventures » professionnelles qui sont encore devant lui, Patrick Pichette revient tout de même avec fierté sur ses réalisations des sept dernières années. « Je regarde tous les projets qu’on a réussi à faire croître pendant mon temps chez Google : Android, Chrome, le projet de raccordement internet Google Fiber, la voiture autonome, les Google Glass, l’intelligence artificielle. Tu as tellement d’axes de croissance extraordinaire, en plus du cœur de la business, qui est la recherche. »

Son passage a aussi été marqué par une explosion du nombre d’employés – ils sont aujourd’hui plus de 50 000 – et une croissance marquée du prix de l’action en Bourse. Le titre de l’entreprise est en effet passé d’environ 500 $US à plus de 1100 $US sous sa gouverne, avant un fractionnement en deux l’an dernier.

« Quand je parle de croissance, les chiffres sont phénoménaux, dit Patrick Pichette. Tous les 90 jours, on embauche 2000 personnes. Tous les lundis matin, dans mon parc immobilier, je mets en service 50 000 pi2, soit à peu près trois étages. Non seulement j’ai besoin de mes 50 000 pi2, mais j’ai besoin de tout le support informatique, j’ai besoin d’un chef, j’ai besoin de nourriture, de services de transport à travers le monde. On a bâti une société vraiment planétaire, avec des bureaux partout dans le monde. »

LES YEUX SUR LE QUÉBEC

Patrick Pichette semble excité par le fait de ne pas savoir ce qui l’attend après sa sabbatique. Il pourrait conserver un rôle chez Google, mais il se garde toutes les portes ouvertes. 

« Larry m’a dit : dès que tu as fini, tu m’appelles. Ce ne sont pas les occasions qui vont manquer. La vraie question est : qu’est-ce que tu veux faire quand tu vas être grand ? » 

— Patrick Pichette

Une chose semble évidente : il compte passer davantage de temps au Québec. Le diplômé de l’UQAM a annoncé cette semaine la mise sur pied d’un centre de recherche scientifique à la réserve naturelle de Kenauk, en Outaouais. En plus d’être copropriétaire de ce vaste territoire sauvage de 265 km2, il sera l’un des administrateurs de l’institut.

Le financier entend également s’engager davantage au sein de la communauté des entreprises technologiques montréalaises. Il se dit très « excité » par la Maison Notman, un nouvel incubateur destiné aux entrepreneurs du web dans la métropole, auquel Google a contribué financièrement.

« Je suis un homme d’affaires, j’aime bâtir des affaires, et je pense qu’on a une très belle communauté à Montréal, dit-il. De pouvoir supporter la communauté d’affaires à Montréal, surtout au niveau du start-up digital, ça, c’est très excitant pour moi. »

Patrick Pichette est aussi membre du conseil d’administration de Bombardier depuis l’an dernier, qui correspond à une période trouble pour le groupe aéronautique. Il estime que l’entreprise a retrouvé son « focus » grâce aux mesures de redressement mises en place, dont l’abandon du développement du Learjet 85.

Devrait-on multiplier les efforts pour garder Bombardier entre des mains québécoises, alors que les rumeurs de vente de certaines divisions se multiplient ? « Le futur, je ne peux pas en parler, dit M. Pichette. Mais ce qui est tout aussi important, c’est de bâtir les champions de demain. Bombardier, c’est super important, c’est un beau joyau québécois. Mais c’est une société globale, right ? C’est en Irlande, en Europe. De dire que c’est juste une société québécoise, ce n’est pas rendre justice à Bombardier. C’est une société globale qui a son siège social à Montréal. »

Ruth Porat, ancienne chef des finances de Morgan Stanley, remplace Patrick Pichette à la tête des finances de Google. L’entreprise a allongé plus de 70 millions US pour attirer cette vedette de Wall Street dans la Silicon Valley. Les deux financiers travailleront en parallèle jusqu’à la fin du mois pour assurer une transition harmonieuse.

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