CRITIQUE

Au centre du malaise

CRITIQUE
Centre d’achats
Texte : Emmanuelle Jimenez
Mise en scène : Michel-Maxime Legault
Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, jusqu’au 1er décembre
4 étoiles

C’est l’un des meilleurs textes de la jeune saison qui est présenté avec Centre d’achats. Une pièce percutante d’Emmanuelle Jimenez, portée par sept excellentes comédiennes dirigées habilement.

Une passerelle de mode dotée d’un banc, entre une cabine d’essayage et une vitrine. Blanc, tout blanc. Des femmes habillées de noir et portant des coiffures extravagantes montent sur scène. Le vent fou de l’extérieur se tait peu à peu pour laisser place à une Muzak sirupeuse de circonstance. On est bien à l’abri, au centre commercial.

Toutes n’ont pas les mêmes raisons d’être là. Toutes n’ont pas les mêmes besoins, les mêmes peurs ou les mêmes petits bonheurs. Parce qu’elles ne sont pas heureuses, nos magasineuses. 

Obsessionnelles-compulsives, ces fées maganées ont soif. Elles vont accomplir le rituel de la surconsommation pour oublier le reste. Elles vont s’agenouiller devant la vraie valeur de leur vie de valeur, et recevoir l’hostie suprême, celle des pantoufles duveteuses à 23,75 $.

Elles sont drôles, hilarantes parfois, sans le vouloir. Ce n’est pas parce qu’on rit que c’est drôle de constater leurs angoisses, leur frénésie, leur vide. 

La dramaturge Emmanuelle Jimenez a saisi au feu vif des corps inquiets et tragiques. Un chœur vient d’ailleurs ponctuer cette marche presque funèbre dans une messe sans retour. Le drame ultime étant la toute dernière réplique.

Michel-Maxime Legault met en scène cet enterrement, qui aurait pu être horrifique, mais qui démontre surtout une réelle compassion pour ces femmes perdues dans le faux marbre et les paillettes. En adéquation avec ce grand texte, il nous montre toutes les couleurs de ces prisonnières, du plus sombre au plus léger. On a tous (toutes) vécu les joies éphémères et les malaises profonds du « centre d’achats ».

Sur ce terrain de jeu qui sent le renfermé, les comédiennes habillées par le designer Denis Gagnon ont toute notre attention pour explorer cette maladie des temps modernes. On les reconnaît, dans leur personnage bien défini, ou on les découvre, celles qu’on voit moins souvent sur les scènes montréalaises, avec un grand plaisir : Danielle Proulx, Anne Casabonne, Marie Charlebois, Madeleine Péloquin, Marie-Ginette Guay, Johanne Haberlin et Tracy Marcelin. Chapeau !

On ne sort pas de cette pièce intact. On ne court pas du théâtre au centre commercial. Peut-être qu’on n’y ira jamais plus de la même façon, avec les mêmes intentions. En critique, on essaie de contourner cette formule surutilisée, mais pour une fois, et pour une bonne cause : Centre d’achats est un spectacle à voir !

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