Éditorial : Service d’injection supervisée

Une cohabitation épineuse

Les vives réactions de certains parents à l’ouverture d’un service d’injection supervisée (SIS) à proximité de leur école doivent être prises au sérieux, et recevoir des réponses satisfaisantes.

Les deux premiers centres montréalais ont démarré leurs activités lundi.

Question : lequel a suscité la controverse ?

Réponse : le troisième, qui n’est pas encore ouvert.

Absurde ? Au contraire, cela résume bien les enjeux de cohabitation suscités par l’apparition prochaine d’un SIS à quelques centaines de mètres d’une école et en bordure d’un corridor scolaire.

Comment démontrer l’innocuité de ce qui n’a pas de précédent ? C’est le défi que doivent relever les responsables de la santé et de la sécurité publiques.

Certes, l’expérience vancouvéroise d’Insite a démontré les effets positifs des centres d’injection. La présence de personnel infirmier évite les surdoses fatales, ce qui épargne des vies, des trajets en ambulance et des hospitalisations. Une réduction des décès par surdose a d’ailleurs été constatée dans un rayon d’un demi-kilomètre d’Insite, et ce, sans augmentation des méfaits.

L’expérience canadienne est cependant limitée. Montréal est seulement la deuxième ville à accueillir ce type de centre, et la première à en ouvrir un sur le trajet d’un corridor piétonnier emprunté quotidiennement par des enfants. À cet égard, le cas de Spectre de rue, situé à quelques centaines de mètres de l’école primaire Marguerite-Bourgeoys, est sans précédent. Les craintes des parents (présence de revendeurs, attroupements, etc.) relèvent peut-être de la spéculation, mais personne ne peut leur démontrer l’absence d’impact sur les enfants, parce que cet aspect n’a jamais été mesuré.

Soyons honnêtes : s’il avait été question de trouver un nouveau local pour un SIS, celui-là aurait été difficile à défendre. Malheureusement, ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici.

La santé publique de Montréal voulait confier ce nouveau service à des groupes communautaires qui avaient pignon sur rue et desservaient les utilisateurs de drogues injectables depuis longtemps. C’est le cas de Cactus et de Dopamine, qui ont inauguré leurs SIS cette semaine. C’est aussi le cas de Spectre de rue, qui doit ouvrir le sien l’automne prochain.

Il y a donc plus d’une vingtaine d’années que des utilisateurs de drogues injectables fréquentent cet endroit en plein jour, notamment pour venir chercher des seringues propres, et l’organisme n’a pas eu de problème de cohabitation avec le voisinage, nous dit-on. Est-ce que la consommation sur place empirera la situation ? Le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal est convaincu du contraire.

La responsable du dossier, la Dre Carole Morissette, croit que cela renforcera la sécurité des enfants, en réduisant les injections et les seringues à la traîne dans les lieux publics.

C’est plausible et on l’espère, mais les défenseurs du projet ont le fardeau de la preuve.

Des représentants du CIUSSS, du Service de police de la Ville de Montréal et de Spectre de rue devaient rencontrer les parents du quartier hier soir. Le comité de bon voisinage réclamé sera mis sur pied, et les policiers promettent d’augmenter leurs patrouilles dans les environs. Santé Canada exige aussi que les policiers mesurent les méfaits et les plaintes avant et après l’ouverture du SIS, et en fassent rapport. On finira donc par savoir si ce centre d’injection influence la dynamique du quartier, pour le meilleur ou pour le pire, mais cela viendra plus de six mois après l’ouverture.

On ne peut pas attendre aussi longtemps pour convaincre et rassurer les parents. Si l’on veut que la prochaine rentrée se passe bien pour tout le monde, il va falloir s’employer à gagner leur confiance cet été.

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