À l’enfant que je n’ai pas

Je n’ai pas d’enfant. Ce n’est pas par choix. Vraiment pas. C’est juste que mes amours ne se sont jamais rendus jusque-là. Je sais qu’il me manque ce qu’il y a de plus beau. Je n’en suis pas malheureux. Ce sont les bonheurs perdus qui rendent malheureux. Les bonheurs inconnus rendent rêveurs. Pas de larmes dans mes yeux. Juste un peu de brume.

À Noël, la brume est plus dense. Plus épaisse. Le cœur s’embrouille. Tant que mon père et ma mère vivaient, je pouvais me dire que c’était moi, l’enfant de la fête. Le grand enfant. Mais mon père et ma mère sont disparus. Leur course est finie. Je me retrouve avec le témoin dans les mains. Et personne à qui le donner. Que le ciel vers lequel le tendre.

Je n’ai pas d’enfant. Alors, je suis bien placé pour vous dire, à vous qui en avez, que vous êtes chanceux, que vous êtes bénis. Je sais que ce n’est pas toujours facile. Avoir un enfant, c’est ne plus avoir de vie. C’est en avoir deux, trois, quatre. C’est accaparant, épuisant, préoccupant, épeurant. Et c’est pour ça que c’est si merveilleux. Quelqu’un a besoin de vous. Tellement. C’est le plus beau des cadeaux.

On peut très bien vivre sans avoir besoin de personne. Faire son chemin. Être fort. Foncer. Gagner. Être à l’épreuve de tout. Ce qui va finir par nous rattraper, c’est que personne n’ait besoin de nous.

Les gens seuls ne sont pas tristes parce que personne n’est avec eux, ils sont tristes parce que personne n’a besoin d’eux pour être heureux. Se forcer pour aller les voir, c’est gentil, c’est un pansement pour leur âme. Mais la douce guérison, c’est quelqu’un qui en a envie. Rien ne vaut la présence de quelqu’un qui ne voudrait pas être ailleurs. S’attacher, c’est ça. Avoir quelqu’un après nous.

Un enfant, c’est totalement ça. Avoir quelqu’un après nous.

Un bébé ne peut pas vivre sans vos soins. Un enfant ne peut pas s’épanouir sans votre amour. S’il y parvient, ça lui prendra bien des efforts. Durant ses premières années, vous êtes son soleil. Sa lumière. Bien sûr, viendra l’adolescence, l’indépendance, mais il partira de chez vous avec tout le temps que vous avez mis en lui. Et ce temps-là l’accompagnera partout. Ce ne sera jamais du passé. Ce sera toujours du présent. Son présent. Votre présent.

Malgré tout, tout ce que la nature unit peut s’user, se briser. Trop de parents âgés sont abandonnés par leurs enfants durant les Fêtes. Le manque d’amour est de tous les côtés.

Rien n’est jamais acquis. Surtout pas l’amour. Voilà pourquoi, il faut le célébrer, il faut le conserver, en prendre soin.

À tous ceux qui cherchent un sens à Noël, c’est pourtant évident, Noël, c’est la fête de tous les enfants en même temps. L’humanité est une grande famille. Une grande famille souvent dysfonctionnelle, mais une famille quand même !

L’espoir du monde, il est là. Qu’il s’appelle Jésus, Maurice ou Mohammed. Les seuls qui peuvent changer le monde, ce sont eux. Tous les enfants en même temps. À minuit, c’est l’ultime vœu. Que grâce à eux, tout aille mieux. Avec leurs grands yeux et leur rire éclatant, avec la page blanche qu’ils ont dans les mains, et leurs crayons pleins de couleurs, c’est certain qu’ils en sont capables. Le problème, c’est qu’ils apprennent en imitant ce que l’on fait. Et ce que l’on défait. Alors le monde ne change pas. Et continue à se faire mal.

Voilà la mission de tous les parents, ajouter des bonnes personnes sur la terre. C’est la mission des enseignants aussi, et de tous les adultes qu’ils croiseront sur leur chemin. C’est une lourde tâche. Mais elle en vaut la peine. Mais elle en vaut la joie. Bien sûr, dans la course du quotidien, on peut l’oublier. Mais ce soir, c’est Noël, c’est le moment de se le rappeler.

À l’enfant que je n’ai pas, j’aurais aimé lui apprendre à marcher et à tomber, à parler et à écouter, à lire, à écrire et à se relire, à additionner et à donner, à croire en lui et à douter parfois. J’aurais aimé lui apprendre qu’aimer rend heureux. Que haïr rend malade. Que la joie d’être en vie doit toujours être plus forte que les malchances de l’existence. Que le moral est un ballon, qui doit toucher le sol pour rebondir. Qu’il aura réussi si quelqu’un a besoin de lui. Je sais, c’est facile à dire, quand on n’en a pas. Mais je vous l’ai dit au début, les bonheurs inconnus sont ceux qui font rêver.

Je n’ai pas d’enfant, mais j’ai l’amour des gens que j’aime. Des gens dont j’ai besoin. Et qui ont besoin de moi, parfois. Chacun son destin.

Noël, c’est la fête des enfants. Des enfants que l’on a. Mais aussi des enfants que nous sommes. Bref, c’est la fête de tout le monde.

Joyeux Noël, les enfants !

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