AUTISME ET DÉFICIENCE INTELLECTUELLE

« Une question de sécurité et de survie »

L’intérieur de la maison L’intervalle semble avoir été le théâtre d’un cambriolage. Les canapés sont éventrés. Des portes ont été arrachées de leurs gonds. Il y a des trous dans les murs. Les carreaux de certaines fenêtres sont brisés.

Mais ce ne sont pas des casseurs qui ont saccagé les lieux. Ce sont les résidants.

Ici vivent six pensionnaires autistes ou déficients intellectuels. Tous souffrent de graves troubles de comportement. Ils mordent. Ils pincent. Ils frappent. Ils détruisent. Ils se sont pour la plupart fait montrer la porte partout où ils sont passés. Certains d’entre eux ont même été exclus des activités de la Société de l’autisme tellement ils sont incontrôlables.

« Quand j’ai ouvert la maison, il n’y avait pas de ressource capable d’accueillir ces personnes. Plusieurs faisaient des allées et venues entre l’hôpital et l’endroit où ils étaient logés parce que personne n’arrivait à calmer leurs crises. Nous, on gère les crises ici. Je n’envoie pas mes résidants à l’hôpital », explique le propriétaire Michel Demers. D’où les airs de fin du monde dans le petit bungalow coincé entre l’autoroute 15 et la rivière du Nord, à Prévost.

« MA PEAU EN DÉPENDAIT »

Avant d’emménager à L’intervalle, Jean-Claude, 53 ans, a été forcé de déménager six fois en six mois. L’homme, déficient intellectuel, était tellement agressif que personne n’arrivait à le garder plus de quelques semaines. Il s’est installé chez Michel Demers il y a deux ans. Depuis, il a brisé bien des choses dans la maison, mais il y habite toujours. « Des fois, il peut être en crise durant une semaine », raconte le propriétaire.

Le fils de Chantal Bigras, Francis, s’y est pour sa part installé il y a cinq ans. Il avait 13 ans. Il sortait d’un séjour de six mois à l’hôpital Rivière-des-Prairies, spécialisé en psychiatrie. Sa deuxième hospitalisation.

« Il était tout petit. Malgré sa taille, à l’hôpital, ça prenait quatre gardiens pour le maîtriser. Il a encore des marques aux pieds tellement il a défoncé des portes. »

— Chantal Bigras, mère de Francis

À contrecœur, elle s’est résolue à le placer. « Il le fallait. C’était ma peau qui en dépendait ; une question de sécurité et de survie », dit-elle. Elle le prend chez elle une fin de semaine sur deux. Depuis qu’il vit à L’intervalle, elle remarque que son comportement s’est beaucoup amélioré.

Une autre maman, dont la fille autiste de 28 ans est hébergée au centre depuis son ouverture il y a huit ans, voit elle aussi une énorme différence dans le comportement de sa progéniture. « Elle est apaisée. Elle se sent aimée ici. »

Sa fille, dit-elle, a besoin de stabilité. « Avant, elle changeait toujours d’endroit parce qu’elle était violente. Mais tous ces changements avaient justement un impact négatif sur son comportement. C’était une roue sans fin. »

Dans la chambre qu’elle occupe, le lit de la jeune femme a été fixé au plancher. « Elle nous le lançait par la tête », raconte Michel Demers. Pas de cadres sur les murs. Même pas de rideaux à la fenêtre. « Elle utilisait la tringle pour varger dans la porte », dit le propriétaire en nous montrant de profondes entailles dans le bois.

Pourtant, selon sa mère, elle va bien. Et si sa fille déménage encore, « tout sera à recommencer », prévient-elle.

À BOUT DE SOUFFLE

Mais Michel Demers n’en peut plus. Depuis deux ans, le budget qui lui est attribué par le Centre de réadaptation en déficience intellectuelle (CRDI) du Florès, qui gère ce type de services dans les Laurentides, a été amputé de 87 000 $. La loi 49, qui régit les ressources comme la sienne, serait à blâmer. Aux yeux de Québec, toutes les ressources sont égales. Celles qui accueillent une clientèle plus lourde ne reçoivent désormais pas plus d’argent.

Chaque année, il estime investir entre 10 000 et 12 000 $ en réparations. L’an dernier, il a mis 65 000 $. « Du couloir, on voyait à l’intérieur des chambres tellement il y avait des trous. Je n’avais plus le choix. » C’est sans compter l’argent nécessaire à la nourriture, l’électricité, le chauffage, l’hypothèque et les salaires.

Il avait sept employés. Il en a remercié trois en avril. Plus d’argent pour les payer. Ceux qui restent gagnent 15 $ l’heure. Les bonnes années, M. Demers, qui travaille 12 heures par jour, qui est sur appel à longueur d’année et qui se lève régulièrement la nuit pour gérer des situations de crise, se verse un salaire de 45 000 $.

« Ça n’a pas de sens de couper comme ça. S’il s’épuise, qui va le remplacer ? » 

— Chantal Bigras

Depuis plusieurs mois, son fils ne va plus à l’école. Il refuse de monter dans l’autobus. L’équipe de L’intervalle n’est pas assez nombreuse pour l’y mettre de force tous les matins. « Il faudrait que je l’amène, mais je n’ai pas le temps », dit M. Demers. Le CRDI a promis à la maman qu’une éducatrice spécialisée irait lui faire l’école à la maison. Elle attend toujours.

Les coupes de personnel réduisent aussi le nombre d’activités. « On ne peut plus faire de sorties. On est souvent un seul intervenant à la fois. S’il y en a un qui fait une crise, on ne peut rien faire d’autre que de s’en occuper. Tout le reste est en suspens. »

Michel Demers se donne jusqu’au mois d’août pour décider s’il ferme. Le cas échéant, le CRDI aura trois mois pour replacer les six pensionnaires. Mais où ?

La porte-parole du centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) des Laurentides, Myriam Sabourin, assure que si L’intervalle, une « très, très bonne ressource », dit-elle, venait à fermer, l’organisme est « confiant de pouvoir collaborer avec [le propriétaire] au replacement adéquat de sa clientèle en fonction des besoins spécifiques de chacun des six usagers concernés ».

Elle ajoute que des négociations sont en cours avec Québec afin que des ajustements soient apportés à la loi et que les ressources qui accueillent des cas complexes comme celle de M. Demers soient financées d’une manière différente des autres. « Nous continuons de collaborer avec ce précieux partenaire et faisons les représentations requises dans l’espoir que la lourdeur de sa clientèle soit prise en considération dans ses rétributions financières », dit-elle.

Mais Mme Bigras est inquiète. « Ils me disent que de nouvelles ressources vont ouvrir, mais qu’aucune n’est adaptée pour Francis. Ils m’ont aussi parlé du CHSLD, mais encore là, ils ne pourront pas s’en occuper. »

Ce qu’elle et l’autre maman craignent, c’est que leurs enfants se retrouvent à l’hôpital.

« Les ressources comme celle-là ne pleuvent pas, mais c’est notre rôle de replacer les résidants, alors s’il le faut, on va en faire, des places », assure Mme Sabourin.

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