Affaire russe

Trump, la « chasseuse de sexe » et la réélection de Poutine

De nouvelles allégations de collusion entre le gouvernement russe et la campagne de Donald Trump ont émané hier de Russie, à un mois de l’élection présidentielle. Les sources : une prostituée et le principal opposant à Vladimir Poutine, Alexeï Navalny.

Une escorte, embauchée par un homme d’affaires russe, capture des photos et vidéos de son séjour sur le yacht luxueux de ce dernier à l’aide de son cellulaire et les publie en ligne. Sur les images, on voit l’homme d’affaires en grande conversation avec son invité, le vice-premier ministre de Russie.

Ce scénario, déjà digne d’un thriller politique, se corse. L’homme d’affaires en question, Oleg Deripaska, a des liens connus avec Paul Manafort, ancien chef de campagne de Donald Trump.

Selon une enquête du Washington Post, M. Manafort, qui a longtemps représenté des intérêts économiques russes aux États-Unis, a offert à M. Deripaska, dans un courriel, des informations privilégiées sur la campagne électorale qu’il dirigeait.

Ces révélations, parmi d’autres, ont mené à la mise sur pied d’une enquête tentant d’établir s’il y avait eu collusion entre la Russie et la campagne de Donald Trump lors de l’élection de 2016. Paul Manafort, qui a quitté l’équipe Trump en août 2016, a été parmi les premières personnes ciblées par des accusations du procureur chargé de l’enquête, Robert Mueller.

Dans une vidéo mise en ligne hier sur YouTube, Alexeï Navalny, le principal opposant au gouvernement de Vladimir Poutine, établit un autre lien. La réunion sur le yacht, qui aurait eu lieu pendant l’été de 2016, suggère que M. Deripaska a servi de liaison entre le gouvernement russe et les collaborateurs de l’actuel président américain.

Dans les images mises en ligne par l’escorte Nastya Rybka, qui se décrit elle-même comme la « chasseuse de sexe », on entend Oleg Deripaska, l’escorte et le vice-premier ministre Sergueï Prikhodko parler de relations russo-américaines.

Corruption dénoncée

Alexeï Navalny a produit une vidéo de 25 minutes pour raconter cette réunion, qui, selon lui, est une preuve supplémentaire de la corruption du gouvernement de Vladimir Poutine.

En moins de 10 heures hier, près de 600 000 personnes avaient visionné la vidéo en russe sur YouTube, mode de communication de prédilection de l’opposant russe.

Ses allégations ont été qualifiées de « mensongères » et de scandaleuses par M. Deripaska.

Âgé de tout juste 41 ans, Alexeï Navalny est le roi de la blogosphère politique russe depuis 2011. Le blogueur, qui détient une formation d’avocat, avait alors dénoncé les fraudes électorales dans le pays. Il est depuis devenu le principal critique du Kremlin en dénonçant les fortunes amassées par les proches de Poutine.

Sur un air électoral

Le 18 mars prochain, Alexeï Navalny aimerait affronter aux urnes Vladimir Poutine, qui brigue un quatrième mandat à la présidence du pays. Mais son dernier espoir d’apparaître sur le bulletin de vote s’est évanoui hier.

La chef de la Commission centrale des élections de Russie, Ella Pamfilova, a confirmé que huit candidats seraient sur la ligne de départ. Cette même commission a disqualifié M. Navalny, s’appuyant sur des accusations de fraude qui ont été portées contre lui. M. Navalny estime que ces accusations sont purement politiques.

Depuis la semaine dernière, Alexeï Navalny demande à ses supporteurs de boycotter l’élection. « Aller aux urnes, c’est voter pour les mensonges et la corruption », a-t-il dit dans un message téléphonique adressé à ses partisans. Des centaines d’entre eux ont été arrêtés lors de récentes manifestations en soutien au candidat déchu.

La vidéo d’hier était la dernière attaque en règle de l’opposant contre le candidat Poutine.

Coups d’épée dans l’eau ?

Cette vidéo, qui a fait l’objet de nombreux articles aux États-Unis, mais a été ignorée dans les médias d’État russes, aura-t-elle un impact quelconque sur l’élection ? Expert de la Russie à l’Université du Québec à Montréal, Yann Breault en doute. « Ça ne changera pas grand-chose. Navalny jouit d’une audience concentrée dans une mince couche de la société. Sa stratégie de boycottage va tout au plus avoir un impact sur 5 à 10 % de l’électorat », dit-il.

Or, selon les plus récents sondages, Vladimir Poutine se dirige vers une victoire facile, avec plus de 65 % des voix.

À un mois du scrutin, Yann Breault croit que la seule surprise électorale pourrait venir d’ailleurs. « Le phénomène le plus intéressant est celui du candidat du Parti communiste, Pavel Grudinine, un homme d’affaires. Il a une bouille sympathique, il dénonce la corruption de Poutine et promet la redistribution des richesses, tout en croyant au capitalisme. Ce ne serait pas impensable qu’il aille chercher de 25 à 30 % de l’électorat », dit Yann Breault, en convenant que ce revirement serait une immense surprise dans une élection qui semble gagnée d’avance.

Les candidats officiels à l’élection russe

Vladimir Poutine, 65 ans, chef du parti Russie unie, président de Russie de 2000 à 2008 et de 2012 à aujourd’hui

Ksenia Sobtchak, 36 ans, vedette de téléréalité devenue journaliste, fille de l’ancien maire de Saint-Pétersbourg, un proche de Poutine

Pavel Grudinine, 57 ans, candidat du Parti communiste, dont il n’est pas membre, homme d’affaires prospère

Vladimir Jirinovski, 71 ans, leader du Parti libéral démocratique, parti ultranationaliste xénophobe

Grigori Yavlinski, chef du parti Yabloko, libéral, critique de Poutine depuis 2000

Boris Titov, 57 ans, candidat d’un nouveau parti pro-affaires, ayant fait carrière dans le commerce des produits chimiques

Sergueï Baburine, 59 ans, candidat d’un parti ultranationaliste, qui s’est opposé à la dissolution de l’Union soviétique en 1990

Maxim Suraikim, 39 ans, candidat d’un parti communiste marginal ; il a déjà brigué le poste de gouverneur de Njini Novgorod

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