CHRONIQUE

Longues études
et McJobs : moins pire au Québec

Vous connaissez sûrement des amis, des parents ou des voisins qui ont fait de longues études, mais qui occupent un emploi qui est loin d’être à la hauteur de leurs diplômes.

Ce phénomène, appelé surqualification, est largement répandu. Il a des impacts malheureux non seulement sur les personnes touchées, mais aussi sur les entreprises, sur le système d’éducation et sur l’économie dans son ensemble.

Une nouvelle étude vient d’être publiée à ce sujet par les économistes Brahim Boudarbat et Claude Montmarquette. En particulier, elle compare le Québec au reste du Canada, ce qui permet de relativiser.

D’abord, bonne nouvelle pour le Québec : la proportion des travailleurs surqualifiés a diminué, et elle est significativement moindre qu’ailleurs au Canada. Les données portent sur les années 2001, 2006 et 2011, soit bien avant la chute récente du chômage.

UN TRAVAILLEUR SUR TROIS

Avant de plonger, chers lecteurs, sachez que les taux demeurent très élevés, ce qui est préoccupant.

Globalement, 30,1 % des travailleurs qui sont diplômés du collégial ou de l’université étaient surqualifiés au Québec en 2011, une baisse de 2,6 points par rapport à 2006. En comparaison, cette proportion était de 35,5 % en Ontario.

Les taux et les écarts sont semblables, peu importe la méthode utilisée (qu’il s’agisse de questions aux diplômés ou d’analyse des données de Statistique Canada). « Ceci va à l’encontre de l’image véhiculée selon laquelle l’économie québécoise est moins performante que celle des provinces de l’Ouest », font remarquer les chercheurs.

Tout de même, près d’un employé sur trois a un travail qui ne répond pas à ses qualifications au Québec. Et parfois, le niveau de surqualification est très important : « 40 % des travailleurs surqualifiés titulaires d’un baccalauréat occupent un poste qui exige au plus un diplôme d’études secondaires », constatent les auteurs.

Sous l’angle des domaines d’études, les diplômés en arts et lettres, en sciences sociales et en histoire sont les plus touchés, avec des proportions de surqualifiés avoisinant les 50 %. Les travailleurs en éducation, en santé et en informatique sont les mieux pourvus (taux de moins de 20 %).

Sous l’angle sectoriel, ce sont les domaines du commerce de détail, de la restauration et du transport-entreposage qui comptent la plus forte proportion de personnes surqualifiées, soit environ 6 sur 10. À l’inverse, les secteurs de l’enseignement (12 %), de la santé (20 %) et de la construction (24 %) ont les taux parmi les plus bas.

Bref, ne soyez pas surpris si vous êtes servi au restaurant ou au téléphone par une personne éloquente, férue d’histoire ou de littérature.

SALAIRES MOINDRES

Les impacts de la surqualification sont bien documentés. Les diplômés surqualifiés ont plus de chances de se retrouver en chômage, leur motivation au travail est moindre et leurs salaires, bien inférieurs.

Pour l’entreprise, le phénomène a des effets sur le taux de roulement et la productivité. Et l’inadéquation entre les qualifications et le marché coûte cher au système d’éducation, bien que l’objectif de la formation universitaire ne soit pas strictement lié au marché et qu’il soit impossible de prédire les métiers d’avenir.

L’étude révèle également que plus les nouveaux diplômés tardent à trouver un emploi dans leur champ d’expertise, plus le statut de surqualifié risque de devenir permanent.

L’étude confirme que la surqualification est plus importante chez les immigrants (49 % contre 30 % pour les diplômés du bac), mais guère plus qu’en Ontario, étonnamment (48 % contre 37 %).

Prix de consolation : les salaires des diplômés surqualifiés sont certes inférieurs à ceux qui ont le même niveau de diplomation, mais ces salaires sont tout de même supérieurs aux travailleurs de leurs professions qui n’ont pas ce même niveau. Dit autrement, du point de vue financier, l’obtention du diplôme n’aura pas été inutile.

Le Québec aurait avantage à se pencher sérieusement sur la pertinence des nombreuses écoles de métiers.

De tous les niveaux de formation (du secondaire au doctorat), ce sont les écoles de métiers qui obtiennent le pire score, avec un taux de surqualification de 44 % pour les diplômés, contre 38 % en Ontario.

Il y aura toujours une certaine proportion d’employés surqualifiés, notent les chercheurs. Ils jugent qu’il faut néanmoins la réduire autant que possible, étant donné les coûts importants. Parmi leurs solutions : bien informer les jeunes sur les perspectives d’emploi, rendre le système d’éducation plus réactif au marché du travail, renforcer le rôle des agences d’emploi, encourager la mobilité de la main-d’œuvre et mieux intégrer les immigrants.

Étonnamment, nulle part l’analyse n’attribue le taux de surqualification moins important au Québec à la nette différence de champs d’études choisie par les étudiants d’ici par rapport à l’Ontario.

Or, en Ontario, 42 % des étudiants du bac terminent en arts et sciences humaines ou en sciences sociales et droit, des secteurs où la surqualification est très élevée. Cette proportion n’est que de 29 % au Québec, selon une autre étude dont j’ai fait état le samedi 10 juin dernier. Autre commentaire : les chercheurs n’ont pas bien documenté l’impact des cégeps, notamment le volet technique, qui n’existe pas ailleurs.

Outre ces réserves, l’étude de 133 pages est fort intéressante et mérite de faire partie de vos lectures.

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