Chronique

Guide pratique pour les réfugiés à Montréal

Vous venez de débarquer à Montréal. Depuis votre demande d’immigration, des tas d’agents gouvernementaux vous ont donné de précieux renseignements sur votre nouveau pays d’adoption. On vous a expliqué nos lois, vos droits et vos obligations. C’est très bien. Conservez toutes ces informations bien précieusement. Permettez-moi d’y ajouter quelques faits plus futiles qui pourraient vous aider quand même.

Premièrement, ne vous fiez surtout pas à la température d’aujourd’hui. Vous trouvez ça frisquet ? Pour nous, c’est la canicule ! Habituellement, mi-décembre, il peut faire jusqu’à -30. Oui, -30, ça existe. On n’en meurt pas, mais ça pince. Réchauffement planétaire ou pas, le temps doux actuel, c’est comme une série de victoires du Canadien, un moment donné, ça va couper carré. Et ça va virer du mauvais côté.

C’est quoi, le Canadien ? C’est notre équipe de hockey. C’est quoi, le hockey ? Le hockey, c’est comme le foot, sauf qu’au lieu d’un ballon, c’est une petite rondelle, au lieu d’un filet, c’est un petit filet, et les joueurs, au lieu de faire semblant d’avoir mal, ont vraiment mal. Il y a justement un match, ce soir. Si vous pouvez y jeter un coup d’œil, ça va faciliter votre intégration. Le hockey, c’est ce qui rassemble toutes les cultures de notre beau grand pays. 

Demain, si vous dites au gars du dépanneur : « J’espère que Price et Gallagher vont revenir au plus tôt », il va savoir que vous faites partie de la gang. Et ça se peut qu’il vous invite à l’accompagner à la Cage aux Sports pour la prochaine partie. La fraternité donne des ailes de poulet.

Cela dit, en arrivant ici, vous risquez d’avoir le réflexe de vous tenir seulement avec vos compatriotes. C’est normal, on fait la même chose quand on va à Old Orchard ou à Miami. Mais ça serait bien que vous preniez le temps de nous connaître. Et pour savoir qui l’on est, écoutez nos chansons. Il y en a qui devraient vous rejoindre : Quand les hommes vivront d’amour, Un peu plus haut, Emmène-moi au bout du monde, Tenir debout, Mille après mille, On va s’aimer encore et Mon pays… En voici quelques lignes que vous devriez apprécier et que l’on devrait relire, nous aussi : 

De mon grand pays solitaire, je crie avant que de me taire

À tous les hommes de la Terre, ma maison, c’est votre maison

Entre mes quatre murs de glace, je mets mon temps et mon espace

À préparer le feu, la place, pour les humains de l’horizon

Car les humains sont de ma race.

Si vous avez appris votre français dans des manuels ou en écoutant des films de Depardieu, vous allez entendre plein de mots dont vous ne saisirez pas la signification. Crisse, calisse, tabarnak, ciboire. Ce sont nos sacres. On les prononce quand on est fâchés. On les prononce quand on est contents. On les prononce souvent. Pas besoin de nous imiter. Surtout pas. Mais si jamais dans cinq ans, vous vous exclamez, par un beau soir d’été, sur une terrasse de la rue Saint-Denis : « Crisse que je suis content d’être ici ! », c’est qu’on vous aura bien accueilli.

Sur le plan politique, c’est moins heavy que d’où vous venez. On ne s’entend pas, bien sûr. Aucun peuple ne s’entend. Mais on s’affronte pacifiquement, la plupart du temps. Montréal est au Québec. Le Québec est une province du Canada. Certains Québécois aimeraient que le Québec soit un pays. Qu’il se sépare du Canada. D’autres ne le veulent pas. N’ayez crainte, vous ne serez pas pris au milieu d’une guerre civile à cause de ça. Ici, nos révolutions sont tranquilles et nos référendums sont ambivalents. Que l’on soit fédéraliste ou séparatiste, on se donne tous des cadeaux à Noël, pis on prend tous nos deux journées de congé en été, le 24 juin pour fêter le Québec et le 1er juillet pour fêter le Canada. Y’a jamais trop de jours fériés. On est pour le Oui ou pour le Non, mais avant tout, on est pour la Vie. Tranquille. En passant, le maire de Montréal s’appelle Denis Coderre, et si vous pouvez prendre un selfie avec lui, ce serait très gentil.

Si vous vous demandez pourquoi il y a tant de cônes orange dans nos rues, c’est parce qu’on n’arrête pas de réparer les trous dans nos chaussées. Pas besoin d’être bombardé pour être défoncé. Si, lors d’une balade, vous n’arrivez plus à sortir du Plateau Mont-Royal, ne demandez pas de l’aide aux gens du quartier, ils ne sont pas capables d’en sortir, eux autres non plus.

Demain, allez faire un tour, en haut de la montagne, sur le belvédère. Vous allez pouvoir regarder votre nouvelle ville. C’est pas Paris, c’est pas New York, c’est pas Londres. C’est Montréal. Il y a quelques gratte-ciels, pas trop hauts. Si vous avez de bons yeux, vous verrez au loin quelques montagnes, pas trop hautes : le mont Saint-Bruno, le mont Saint-Hilaire, le mont Rougemont et le mont Saint-Grégoire. C’est une ville à l’échelle humaine. Juste assez grande pour s’y perdre, juste assez petite pour s’y retrouver. Entre les buildings et les monts, il y a le fleuve. Majestueux. Prenez un pont pour le contempler. Vous allez avoir le temps de le regarder longtemps. Le Saint-Laurent, c’est notre porte d’entrée. Nos ancêtres sont arrivés ici grâce à lui, quand ils ont quitté la France pour se réfugier à Montréal. Comme vous.

Ils sont restés. C’est signe que c’est un bon endroit pour recommencer sa vie. Montréal est une île. Et l’île est la terre d’accueil de tous les naufragés.

Bienvenue chez vous !

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