Science

Des cours sur le sommeil pour améliorer la performance scolaire

Reut Gruber veut faire dormir les enfants – et pas en leur chantant des berceuses. Cette chercheuse à l’Institut Douglas et professeure au département de psychiatrie de l’Université McGill fait la promotion d’une idée qui peut sembler saugrenue : donner des cours de sommeil à l’école. Ses recherches montrent pourtant qu’il s’agit d’une façon simple et peu coûteuse d’améliorer la performance scolaire.

Des élèves fatigués

« Aller se coucher : ça semble tellement évident qu’on se dit qu’on n’a pas besoin d’enseigner ça à l’école, lance d’emblée Reut Gruber, professeure au département de psychiatrie de l’Université McGill. Mais si vous y pensez bien, on pourrait dire la même chose de manger sainement et de faire de l’activité physique. Le problème, c’est qu’on ne le fait pas. » Les statistiques sont en effet implacables : tout le monde manque de sommeil, aujourd’hui, et en particulier les adolescents (jusqu’à 70 % d’entre eux, selon un sondage mené dans les écoles secondaires canadiennes). Peut-on renverser la tendance en enseignant en classe les bienfaits d’une bonne nuit ? La professeure Gruber a voulu le vérifier.

Des cours de sommeil

La chercheuse a décidé de s’attaquer d’abord au manque de sommeil chez les enfants du primaire, pour qui l’instauration de bonnes habitudes peut avoir des conséquences sur toute la vie. En collaboration avec la commission scolaire Riverside, réseau d’écoles anglophones de la Rive-Sud de Montréal, elle a conçu du matériel pédagogique qui met notamment en vedette un personnage appelé « Sleepy Steven » (Steven l’Endormi). On y parle des facteurs qui influencent la qualité du sommeil, des bienfaits d’un bon dodo et des méfaits du manque de sommeil. Les professeurs ont reçu une formation spéciale et les parents ont été sensibilisés à la question.

Des montres pour mesurer le sommeil

Avant d’instaurer ce programme pédagogique, la professeure Gruber avait distribué à ses petits sujets d’expérience des montres spéciales capables de documenter leurs mouvements pendant la nuit – un indice de la qualité du sommeil. Aidés de leurs parents, les enfants ont aussi tenu un agenda de sommeil. Après six semaines à parler de dodo à l’école, les montres et agendas ont montré que les enfants avaient gagné en moyenne 18 minutes de sommeil par nuit, et que la qualité de celui-ci s’était améliorée de 2,3 %. « De petits changements comme ceux-là ont un grand impact parce qu’ils sont cumulatifs, explique Reut Gruber. Après une semaine, c’est plus de 100 minutes de sommeil que les enfants avaient gagnées. »

Des impacts sur le bulletin

La chercheuse à l’Institut Douglas a montré que ces changements dans les habitudes de sommeil ont eu des impacts « significatifs » sur les notes scolaires des 71 élèves qui ont suivi le programme. Les notes d’un groupe témoin n’ayant pas entendu parler du sommeil à l’école n’ont pas changé. Aucune autre variable ne semble pouvoir expliquer l’augmentation des résultats scolaires. Fait intéressant, ce sont les notes en mathématiques et en anglais qui ont augmenté chez ces élèves anglophones, alors que celles en arts et en sciences n’ont pas bougé. « Nous croyons que cela s’explique parce que ce sont surtout les fonctions exécutives qui sont touchées par le manque de sommeil – les habiletés mentales impliquées dans la planification, le contrôle de l’attention et le multitâche, par exemple, explique la professeure Gruber. Et ces habiletés sont particulièrement requises pour le langage et les mathématiques. »

Un potentiel inexploité

Pendant que le Québec se casse la tête pour améliorer les résultats scolaires de ses élèves, Reut Gruber croit que l’enseignement du sommeil est une avenue qui doit être explorée. Elle explique que les apprentissages sur le sommeil peuvent être intégrés aux cours existants (français, anglais, science) et ne demandent donc pas de bouleverser le curriculum. « Le matériel a été créé et nous avons fait la démonstration qu’il fonctionne. Il est difficile de comprendre pourquoi nous ne parvenons pas à déployer cette idée à plus grande échelle. Ça demanderait un peu de conscientisation, mais pas nécessairement des tonnes d’argent », lance-t-elle.

Cap sur le secondaire

Après avoir démontré le potentiel des cours de sommeil au primaire, la professeure Gruber vise maintenant le secondaire. Johanne Boursier, enseignante de français à l’école secondaire régionale Heritage, à Saint-Hubert, a contribué à concevoir le matériel pédagogique et a déjà donné sa première leçon sur le sommeil. « Ça les intéresse vraiment, dit-elle en parlant de ses élèves. Beaucoup ont des problèmes de sommeil et s’endorment le jour. Ils ont montré une belle ouverture et posaient beaucoup de questions », a-t-elle dit à La Presse. Les interventions des adolescents ont déjà permis à l’enseignante de constater que le téléphone cellulaire posé près du lit représentait une source de distraction considérable qui pouvait miner le sommeil.

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