Électrochocs

Après 200 électrochocs, toujours l’espoir

Dominic*, 40 ans, souffre d’une dépression bipolaire chronique. Depuis 2006, il s’est prêté à plus de 200 traitements d’électroconvulsivothérapie. « Pour moi, ça fait la différence entre la vie et la mort », confie-t-il, au lendemain d’une séance. Nous l’avons rencontré en marge du colloque Électrochocs : on se tient au courant !.

La dépression a commencé à faire ses ravages alors que Dominic avait 17 ans. Sournoisement, elle s’est installée. « La médication s’est avérée inutile et je n’ai pas persisté. Je réussissais à fonctionner : je travaillais et j’étudiais. En période de manie, je ne dormais que quelques heures par nuit. Je ne consultais pas, j’ai préféré me tourner vers mes amis en attendant que ça cesse. » Ça n’a pas cessé. Avec le temps, il a essayé plusieurs médications, sans succès. Il arrivait tant bien que mal à garder la tête hors de l’eau, à patauger.

Puis, alors qu’il était en troisième année de médecine, il a coulé. « Je me suis retrouvé au fond, je ne pouvais plus avancer. Mes parents et mes amis ne me reconnaissaient plus. J’étais un zombie. Je souffrais d’un ralentissement psychomoteur soudain : ma tête et mon corps étaient au ralenti, ma bouche et mes yeux aussi. Je n’avais aucun plaisir, aucun intérêt, aucun désir. Je dormais 16 heures par jour. On aurait dit que ma conscience s’était évaporée et que seul mon cerveau reptilien fonctionnait. »

DES SOUVENIRS EFFACÉS À JAMAIS

C’est à ce moment qu’il a reçu son premier traitement d’électrochocs. « Ç’a fonctionné sur-le-champ, après une seule séance. Malheureusement, il y a eu plus de dégâts que de bénéfices en raison d’une surcharge électrique », confie-t-il, encore amer. Dominic a souffert d’une amnésie de type rétrograde. « Des épisodes non choisis de ma vie sont effacés à jamais : des souvenirs de voyage, des expériences personnelles, de nombreuses connaissances apprises dans les cours de médecine. »

« J’ai perdu une partie de mon disque dur, et ça ne reviendra jamais. »

— Dominic

À la suite de ce traitement, il a présenté des troubles de concentration et d’apprentissage qu’il traîne encore à ce jour. « Lire dans un café est encore très difficile. » D’ailleurs, il a dû abandonner la médecine alors qu’il était résident. « Je n’arrivais plus à assimiler et retenir les connaissances comme avant. Honnêtement, personne ne m’a encouragé à persister, mais j’ai tout arrêté de mon propre gré. Je ne voulais pas mettre en danger la vie de patients. » On lui a refusé plusieurs postes dans le système de santé. Il étudie actuellement en traitement des eaux, domaine dans lequel il espère avoir plus de chance.

« UNE BÉQUILLE, PAS UN MIRACLE »

Est-ce que les troubles cognitifs de Dominic sont la résultante de « surdoses » électriques isolées, de l’effet cumulatif des traitements ou de la maladie elle-même ? Peut-être un peu des trois. Qu’importe, les électrochocs sont essentiels à sa santé mentale. « Je souhaiterais pouvoir m’en passer et j’espère qu’on découvrira un jour un traitement qui m’ira. Est-ce que ce sera dans 5 ans, dans 15 ans ? En attendant, les électrochocs m’aident à stabiliser mon état. Je ne peux pas dire que ça me permet de guérir, mais j’arrive à fonctionner. »

Aujourd’hui, il reçoit un traitement d’entretien une fois aux trois semaines. Son traitement est mieux ciblé, personnalisé. Qu’importe, il y a parfois des rechutes.

Dominic a dû être transporté d’urgence à l’hôpital après s’être tailladé les poignets, une semaine avant l’entrevue. « Je ne peux expliquer ce qui est arrivé », dit-il, hésitant. Habituellement, il voit venir les symptômes. Pas cette fois. L’électroconvulsivothérapie « est une béquille, pas un miracle ». Dominic le sait aujourd’hui plus que jamais, mais il l’accepte.

Ce qu’il n’accepte pas, ce sont les préjugés persistants envers la dépression et les électrochocs. Cette double étiquette qu’il porte l’écrase. « La pression sociale est énorme. On me voit comme un fou, un dérangé. Certains prétendent que les électrochocs sont une plaie. Et si c’était plutôt la perception qu’en ont les gens ? Je suis prêt à vivre avec les traitements pour le restant de mes jours, mais pas avec la stigmatisation. »

* Le prénom est fictif.

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