Tête-à-tête avec le roi des ondes

Paul Arcand s’emballe quand il parle de la première invitée de Conversation secrète, sa nouvelle émission d’entrevues à TVA. Carole Devault est en effet un personnage qui relève du cinéma : elle a infiltré le Front de libération du Québec (FLQ) pour le compte de la police pendant la crise d’Octobre, en 1970.

« Elle a une sacrée histoire à raconter, dit le morningman du 98,5 FM. Elle a trahi ses camarades du FLQ : elle remplaçait les vrais bâtons de dynamite par des faux que lui fournissait la police. Elle fut aussi la maîtresse de Jacques Parizeau… Elle dit que quand elle voyait M. Parizeau, l’appartement était truffé de micros. Et elle n’a pas donné d’entrevue à la télévision depuis des décennies. »

Bref, Carole Devault, nom de code Poupette, est le sujet parfait pour la première de Conversation secrète à TVA, demain soir.

Carole Devault, à l’époque étudiante en histoire de 24 ans, a espacé ses sorties médiatiques depuis les années 70. Universellement honnie par des felquistes réhabilités, elle a choisi Conversation secrète pour sortir de l’ombre, un beau coup pour le retour à la télévision de l’animateur le plus écouté de la radio.

« Elle en a assez d’entendre des felquistes de l’époque raconter des choses qu’elle estime être fausses », relate Paul Arcand.

Conversation secrète est un concept français animé par Michel Denisot qui a été diffusé sur Canal+ de 2013 à 2016, acheté par la boîte montréalaise Fair Play (Les enfants de la télé, Le rêve de Champlain). Le principe est simple : passer plusieurs heures avec un invité, en marchant dans des lieux significatifs pour cette personne. L’émission marque le retour de Paul Arcand à TVA, où il a animé une émission d’entrevues d’actualité de 2000 à 2005.

Police et politique

Si vous écoutez Paul Arcand le matin depuis longtemps, vous savez que sa palette d’intérêts est large : avec la même aisance, il peut cuisiner une ministre sur les conditions de vie en CHSLD, interroger un expert de la chose syrienne et faire dire des choses inédites à une comédienne… le tout dans la même heure. Mais si je me fie à 18 années d’écoute, deux sujets branchent particulièrement Paul Arcand : la police et la politique.

En ce sens, Carole Devault incarne à merveille les deux fascinations du journaliste : son rôle d’ex-fausse felquiste dans la crise d’Octobre l’a mise en pleine intersection de plusieurs intrigues policières et politiques.

« Tu fais de la radio chaque matin. Pourquoi un retour à la télé ?

— Ce n’est pas un besoin de faire de la télévision, pour moi. On m’a proposé des choses depuis que j’ai quitté TVA, en 2005. Mais rien ne me tentait. Quand Fair Play m’a proposé Conversation secrète, j’ai dit au producteur Guy Villeneuve de m’envoyer le lien de l’émission française… »

Et le journaliste Arcand a aimé ce qu’il a vu.

Il a dit oui.

C’est l’idée de faire tomber les défenses et les garde-fous d’un invité à force de jaser avec lui, pendant plusieurs heures, en plusieurs lieux, qui a fini par séduire Paul Arcand. « Ce format permet de plus longues entrevues, ce que je ne peux pas vraiment faire à la radio. Prendre du temps avec quelqu’un, c’est de plus en plus rare. »

Le fait que Jean Lamoureux, légende de la réalisation au Québec (Star Académie, L’Été indien, La voix), ait été attaché au projet a aussi été un facteur pour que Paul Arcand envisage un retour à la télé. Conversation secrète s’alimente des images d’une dizaine de caméras plus ou moins embusquées sur le tracé de l’entrevue, un défi logistique considérable.

« Au final, l’invité en vient à oublier qu’il est filmé. Et moi aussi ! Les caméras tournent tout le temps. Même dans l’auto, quand on se déplace. »

— Paul Arcand, au sujet de Conversation secrète

Le réalisateur Jean Lamoureux est toujours dans son oreille, par le truchement d’un télex. Récemment, avec un invité, le journaliste n’a pas tourné au bon coin de rue… « Donc, l’équipe entendait le son, mais on ne me voyait plus… Il a fallu que je ramène délicatement l’invité vers le tracé de l’entrevue, où étaient les caméras… »

Au 98,5 FM, où il anime Puisqu’il faut se lever, l’émission matinale la plus populaire des ondes, Paul Arcand n’a pas de grands impératifs de promotion. La télévision, c’est autre chose : la télé implique un minimum de service après-vente. Et TVA, côté promotion, c’est un autre niveau de promo, de la promo déclinée sur un tas de plateformes…

« J’ai mis mes limites », dit-il, qui ont toujours été les mêmes, depuis qu’il fait ce métier, loin des magazines artistiques qui montrent les vedettes dans leur intimité.

« Quand tu signes avec un réseau, il y a des choses inévitables, en termes de mise en marché. Mais je ne changerai pas : je ne montrerai ni ma famille ni mon chien et personne ne va venir filmer mon BBQ. Je parle de l’émission, c’est tout. Je ne me sens pas prisonnier d’un empire. Je dois dire que TVA s’est comporté sans faute comme diffuseur, face à l’émission. Je ne peux pas leur imposer d’invités, ils ne peuvent pas m’en imposer. Je suis embauché pour faire huit émissions et TVA m’appuie. C’est toute une machine de promotion, quand même… »

L’avenir incertain du journalisme

Quand je parle avec Paul Arcand dans la vie de tous les jours, quand je l’écoute en ondes, j’ai toujours l’impression que c’est d’abord et avant tout un journaliste qui parle, quelqu’un de passionné dans sa recherche de la vérité et sa traque de la bullshit. Ce qui me fascinera toujours, c’est de le voir aussi acharné à 57 ans, au micro, à tenter de distinguer le vrai du faux, alors qu’il n’a plus rien à prouver. D’autres se mettraient sur le pilote automatique…

Le journaliste en lui est inquiet du paysage qui se dessine en information au Québec.

« Si les médias n’ont plus les moyens de soutenir des salles de nouvelles avec des journalistes, ça va être quoi, l’information ? Le métier qu’on fait, même imparfait, comporte un certain niveau de responsabilité, d’imputabilité…

— Hum, ça va être du commentaire, mur à mur !

— O.K., mais on va commenter quoi ? »

Je lui demande ce qui a le plus changé depuis ses débuts comme journaliste, il y a 38 ans. Il réfléchit une seconde, puis répond, convenant qu’il s’agit d’une évidence… 

« Le web a tout changé. Il a amélioré des choses, il a dégradé d’autres choses. Le contact avec le public est devenu instantané, c’est une bonne chose. Mais ça a aussi introduit l’ère des fake news, où plein de sites disent n’importe quoi. »

— Paul Arcand

« On est rendus dans une ère de complots. Si c’est sur Facebook, c’est que c’est vrai ! Quand je vois NBC faire une entrevue avec le conspirationniste Alex Jones, qui a dit entre autres que le massacre des écoliers de Sandy Hook n’a pas eu lieu… Tu te dis… La frontière, elle est où ? Et on les sort de l’ombre, on leur donne une légitimité en les traitant comme des acteurs ordinaires de l’actualité… »

Il revient à la notion de prendre son temps dans les médias, dans le métier de journaliste. Un luxe que Conversation secrète permet, autant en amont du tournage de l’entrevue que pendant le tournage lui-même. Il y revient quand je lui demande quel est le plus gros défaut des journalistes, de nos jours…

« Ne pas prendre assez de temps pour travailler nos histoires, répond Paul Arcand. On peut tous s’inclure là-dedans. Quand t’es obligé de couvrir plein d’histoires en même temps, peux-tu vraiment fouiller ? Quand tu dois toujours être en direct, peux-tu aller sur le terrain ? C’est facile de couvrir une audience disciplinaire de l’Ordre des infirmières et dire que l’infirmière Gertrude X a été radiée de sa job pour une infraction. Mais tout le monde peut faire ça. Ce qui demande du temps, c’est la mise en contexte, c’est de déterminer si ce que Gertrude X a fait, c’est répandu… »

Autre travers des journalistes, en progression, selon lui : la quête de la célébrité. Paul Arcand est récemment allé parler dans un cours de communication. Il a été frappé par une des motivations des étudiants qui aspirent à faire ce métier : 

« Leur motivation, c’était d’être… à la télévision !

— Pas d’informer, pas d’enquêter ?

— Non. Être à la télévision, point. Le métier de journaliste était vu comme la porte d’entrée pour être connu, reconnu. Et comme la télé est le média qui recrute le plus…

— Ça risque de ne pas faire des enfants forts, journalistiquement ?

— Non ! »

Conversation secrète, une série de huit épisodes, sera diffusée à partir de demain, 21 h, sur les ondes de TVA. 

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