Voitures haut de gamme

Des dettes de pare-chocs à pare-chocs

Vous avez l’impression de croiser plus de voitures cossues et de marques prestigieuses ? Ce n’est pas une illusion : depuis 15 ans, les ventes de véhicules de luxe sont en accélération constante, progressant six fois plus vite que l’ensemble du marché automobile. Les voitures haut de gamme sont pratiquement deux fois plus nombreuses à circuler sur nos routes qu’à l’époque.

Même lorsqu’ils s’en tiennent aux marques « grand public », les acheteurs choisissent des modèles plus chers, plus énergivores : les véhicules utilitaires sport (VUS), minifourgonnettes et camionnettes se vendent maintenant plus que les voitures au Canada.

Les automobilistes sont-ils plus riches, pour pouvoir acheter ces rutilants joujoux ? Les meilleurs clients sont les baby-boomers approchant de la retraite, qui n’ont plus d’enfants à la maison et qui veulent se gâter, selon Norman Hébert, président du Groupe Park Avenue, qui possède 20 concessionnaires auto haut de gamme et grand public (Mercedes, BMW, Audi, Honda, Nissan, Toyota, Volkswagen, etc.). « Ils ont de bons revenus et veulent une voiture qui cadre avec leur mode de vie, avec leur image, dit-il. Ils ont envie de confort, de performance et de qualité. »

ROULER AU-DESSUS DE SES MOYENS

Mais la croissance du marché est aussi soutenue par une explosion de l’endettement : la valeur des prêts auto aux particuliers a presque doublé en huit ans, passant d’environ 60 milliards à 120 milliards au Canada, une hausse de 12,5% par année, qui dépasse toute autre forme de crédit aux consommateurs, y compris les hypothèques.

Si les consommateurs empruntent autant, c’est qu’ils peuvent étirer leurs remboursements pour réduire leurs paiements mensuels : des prêteurs proposent des périodes d’amortissement allant jusqu’à 108 mois (neuf ans). Même s’ils paient leurs bolides 14% plus cher qu’en 2010, leurs mensualités moyennes ont augmenté de seulement 3,8% (20$) en cinq ans.

« Aujourd’hui, 70 % des nouveaux prêts automobiles sont des prêts à long terme, c’est énorme ! souligne Hélène Bégin, économiste chez Desjardins. Les gens achètent une mensualité, c’est la nouvelle mentalité. »

Malheureusement, les consommateurs prévoient des remboursements sur six ou huit ans, mais changent encore d’auto tous les quatre ans, note-t-elle. Conséquence : leur dette est supérieure à la valeur du véhicule dont ils veulent se départir – ce qu’on appelle l’équité négative – en raison de la forte dépréciation au cours des premières années.

Souvent, le solde restant est ajouté à l’emprunt contracté pour la voiture suivante, ce qui peut être dangereux pour les consommateurs : l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC) a d’ailleurs dénoncé « le tapis roulant de l’endettement automobile » dans un rapport publié en mars.

Dans un sondage mené en 2015 par Option consommateurs, 54 % des consommateurs ont avoué que l’accès au financement à long terme leur a permis d’acheter un bien plus cher que prévu.

Sur son site web, la Banque Nationale l’explique d’ailleurs aux éventuels emprunteurs : « Un prêt auto d’une durée de huit ans peut vous aider à obtenir un véhicule plus coûteux dans le respect de votre budget mensuel. »

« Malheureusement, des gens se font prendre et achètent des voitures qu’ils n’ont pas les moyens de se payer », déplore le planificateur financier Éric Brassard, du cabinet Brassard Goulet Yargeau, auteur notamment du livre Finance au volant.

« Bien des BMW qu’on voit sur la route sont louées ou achetées par des gens qui surconsomment. »

— Éric Brassard, auteur, Finance au volant

L’analyste Dennis DesRosiers, qui décortique les statistiques du marché de l’automobile, ne croit pas que les consommateurs achètent au-dessus de leurs moyens. « Mais ceux qui remboursent leur dette sur une plus longue période sans garder leur voiture plus longtemps sont carrément stupides », lance-t-il.

LUXE PLUS ABORDABLE

De toute façon, la location à long terme est beaucoup plus répandue dans le marché haut de gamme, puisque la clientèle change de voiture plus souvent, explique M. DesRosiers. Ça signifie qu’elle accepte l’idée d’un paiement mensuel permanent.

L’expert souligne que les véhicules de grandes marques, de plus en plus nombreux, ne se vendent pas tous 100 000 $. Les constructeurs les plus prestigieux proposent des véhicules plus abordables depuis quelques années. « Certaines Mercedes coûtent moins cher que des véhicules de marques populaires, note-t-il. Les marques de luxe visent de plus en plus le marché de masse. »

D’ailleurs, plusieurs concessionnaires haut de gamme ont ouvert leurs portes ces derniers mois au Québec ou sont sur le point de le faire : Porsche au Quartier DIX30 à Brossard, Mercedes-Benz à Gatineau, à Lévis et dans l’est de Montréal, BMW à Lévis et à Terrebonne…

ATTENTION AUX ASSURANCES

Les amateurs de belles carrosseries qui pensent s’offrir la marque de leurs rêves ne doivent pas oublier que l’entretien peut coûter plus cher, tout comme les assurances et l’immatriculation : la Société de l’assurance automobile du Québec applique des droits d’immatriculation additionnels sur les véhicules de forte cylindrée (entre 35 et 376 $) et sur les véhicules de luxe (1 % de la valeur excédant 40 000 $).

« On peut faire le choix d’acheter une belle voiture, mais il faut être conscient que ça peut coûter des années de travail. »

—Éric Brassard, planificateur financier

« Les gens ont hâte de prendre leur retraite, mais risquent de travailler deux ans de plus, juste parce qu’ils se sont payé des autos trop chères et ne les ont pas gardées assez longtemps », ajoute M. Brassard.

Selon lui, l’achat le plus sensé, financièrement, est une voiture âgée de quatre ans, ayant perdu la moitié de sa valeur, que l’on gardera quatre ans, en soignant son entretien. « Ça représente des économies époustouflantes, dit-il. Même si l’entretien coûte 2000 $ par année, ce n’est rien comparé à la dépréciation de 7000 $ ou 8000 $ par année pour une voiture de luxe. Vous n’aurez pas l’odeur de char neuf, mais il se vend des parfums avec cette odeur si vous y tenez. »

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