Science

Un « condom invisible » pour protéger les femmes

« Ce que vous voyez ici est unique au monde. Ça va sauver des millions et des millions de filles et de femmes », lance Rabeea Omar, chercheur au Centre de recherche en infectiologie de l’Université Laval. Il brandit un tube transparent percé de trous et rempli d’un gel translucide. Son nom :  le condom invisible®, une invention sur laquelle planchent des chercheurs québécois depuis près de 20 ans. Explications.

Donner le pouvoir aux femmes

On connaît la capacité du condom à prévenir les grossesses non désirées et lutter contre les infections transmises sexuellement. Le hic : les hommes sont parfois réticents à le porter, ce qui peut mettre leur partenaire féminine à risque.

« Les femmes n’ont rien. Et la réalité est que partout sur la planète, beaucoup d’entre elles sont incapables de négocier des relations sécuritaires », dit le chercheur Rabeea Omar, qui rappelle que pas moins des deux tiers des relations sexuelles à risque dans le monde sont non protégées.

Avec son collègue Michel G. Bergeron, fondateur du Centre de recherche en infectiologie de l’Université Laval, M. Omar s’est donné pour mission de donner aux femmes le contrôle sur leur propre protection. « Ce rêve-là, il est dans notre cœur. La santé des femmes a été ignorée pendant trop longtemps », dit celui qui travaille sur ce projet depuis pas moins de 18 ans.

Pour avoir un véritable impact, les chercheurs devaient trouver un moyen de protection facile à utiliser et peu coûteux. Et, idéalement, qui soit si discret qu’il puisse être utilisé par la femme sans même que l’homme s’en aperçoive.

Le défi de tout couvrir

MM. Omar et Bergeron savaient qu’ils affrontaient un défi de taille. La réalité est en effet implacable : il est beaucoup plus facile de couvrir un pénis que l’ensemble de l’appareil reproducteur féminin, de la vulve au col de l’utérus en passant par l’ensemble du vagin. On parle d’une surface de 80 cm2 (à peu près la surface d’un iPhone 6), hautement irrégulière, qui doit être épousée dans ses moindres contours.

Les chercheurs ont tout de suite pensé à un liquide, qui a l’avantage de se répandre partout où on le verse. Ils ont ainsi inventé un polymère liquide à la température de la pièce, mais qui se transforme en gel au contact de la chaleur du corps. L’idée : l’injecter dans le vagin, où il devient un gel qui bloque les infections et les spermatozoïdes.

« On l’a testé ici et ça marchait bien. Mais un collègue d’Afrique du Sud nous a appelés et nous a dit : “Chez nous, ça ne marche pas ! Il fait 45°C et le liquide se transforme en gel avant d’être utilisé !” », raconte le scientifique.

Un applicateur unique

Les chercheurs sont retournés à la planche à dessin et ont compris qu’ils devaient travailler avec un gel dès le départ. Ils ont choisi un gel « microbicide », qui tue les microbes et offre une barrière à la fois chimique et physique contre les infections et les spermatozoïdes.

Mais comment l’appliquer partout ? C’est là qu’est venue l’idée d’un applicateur unique au monde. Il est formé d’un tube criblé de trous sur toute sa surface qu’on insère dans le vagin. On y pousse un autre tube rempli de gel. Sous pression, le gel sort par les trous, puis enrobe toute la paroi vaginale.

« C’est pour ça que j’aime la recherche. On se bute à des problèmes et on doit trouver des solutions. On travaille en santé, mais on s’est donné le droit de penser comme des ingénieurs. »

— Rabeea Omar, chercheur à l’Université Laval

Mais celui-ci n’était pas au bout de ses peines. Comment prouver que l’applicateur fonctionne et envoie réellement le gel partout sur la muqueuse vaginale ?

« Un jour, ça m’a frappé. C’est la radiologie qu’il fallait utiliser », dit M. Omar.

Des utilisatrices ont donc été placées dans une machine à résonance magnétique, qui a montré que le gel avait parfaitement enrobé leur appareil génital. Les chercheurs ont même vérifié que le gel pouvait résister à l’action d’une relation sexuelle en le soumettant à 30 allers-retours d’un phallus artificiel.

Partenaire recherché

Après avoir testé leur méthode pas moins de 30 000 fois sur 500 femmes au Québec et au Cameroun, les chercheurs ont démontré qu’elle était sécuritaire et n’entraînait pas d’effets secondaires. Aspect tout aussi crucial, ils ont également vérifié que tant au Québec qu’en Afrique, les femmes la jugeaient facile à utiliser. Le gel peut être injecté dans le vagin jusqu’à une heure avant la relation sexuelle.

Le hic : pour commercialiser le gel et son applicateur, il faut maintenant démontrer son efficacité sur de larges populations, et ce, pour chaque infection transmise sexuellement. Pour l’instant, aucun partenaire du secteur pharmaceutique n’a accepté d’avancer les millions nécessaires pour lancer une telle étude.

« Les études d’efficacité, en un mot, c’est l’enfer », laisse tomber M. Omar.

L’un des problèmes est que quand on parle de maladies transmissibles sexuellement, il faut tester la méthode sur des femmes à haut risque d’être infectées. Or, selon M. Omar, celles-ci forment une clientèle qui fait peur aux sociétés pharmaceutiques. Pour que l’étude s’avère concluante, il faut en effet que les femmes utilisent systématiquement le gel à chaque relation sexuelle et qu’elles l’appliquent correctement. Selon M. Omar, le groupe de Québec subit aussi les contrecoups d’études américaines qui ont été financées à grands frais, mais qui ont échoué – notamment, selon lui, parce que l’applicateur utilisé était inadéquat.

Pour continuer d’avancer, les chercheurs de Québec s’apprêtent à tester l’efficacité de leur méthode pour la contraception sur 30 couples du Québec dans le cadre d’une étude pilote. « On ne se décourage pas, dit Rabeea Omar. Les femmes ont besoin de ce produit et on va le mettre en marché. »

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