Opinion

Gardez mes impôts

Monsieur Leitão, ministre des Finances du Québec,

Je ne sais pas combien nous sommes, mais je suis sûre que je ne suis pas la seule au Québec à qui votre réduction d’impôt ne fait pas plaisir.

J’ai aujourd’hui de très bons revenus et je ne rechigne jamais à payer mes impôts. Sur le principe de solidarité sociale qui sous-tend le prélèvement d’une partie de mes revenus pour doter le Québec de services publics, je n’ai rien à redire.

Je n’ai pas toujours eu d’aussi bons revenus. Avec de faibles revenus pendant mes études universitaires dans les années 80 et des revenus modestes au moment d’avoir des enfants, je n’ai pourtant jamais manqué de l’essentiel. J’ai eu accès à l’éducation, comme mes enfants plus tard. Nous avons reçu des soins de santé quand nous en avons eu besoin. Bourses d’étude, services de transports en commun, équipements de sport et loisirs, etc. Je me doute que pendant plusieurs années, j’ai reçu plus de services que je n’ai payé d’impôts. Aujourd’hui, mes filles sont grandes, j’ai moins de charges financières, un meilleur revenu… et je donne aux suivants !

La petite somme que vous me retournerez ne changera strictement rien à ma vie. Je n’ai pas besoin de plus pour être heureuse. Alors que toutes ces petites sommes qui ne feront aucune différence dans la vie de bien des gens aussi ou plus nantis que moi, additionnées, seraient plus utiles à renforcer les services publics malmenés par votre gouvernement. Des services qui font une réelle différence dans la vie des gens qui y ont accès.

Pendant ces mêmes années, mon frère a travaillé. Sans enfant, il a payé ses impôts, probablement plus qu’il n’a reçu de services. À l’aube de la cinquantaine, il a eu des problèmes de santé et a perdu son emploi. Depuis des années, il fait des pieds et des mains pour réintégrer le marché de l’emploi, sans succès. Trop vieux ? Pas assez rapide pour soutenir la cadence ?

Mon frère reçoit de l’aide sociale. Vous, pourriez-vous subvenir à vos besoins élémentaires avec 623 $ par mois ?

Au moment même où on me fait le « cadeau » d’une réduction d’impôt, un rapport d’experts vous recommande de garder les pauvres dans la pauvreté en leur accordant 55 % de la mesure du panier de consommation. Mon frère, s’il reste en marge d’un marché du travail qui ne lui fait pas de place, est condamné à rester pauvre, très pauvre.

Vous n’êtes pas sans le savoir, en vertu de vos lois, je ne peux pas donner d’argent à mon frère pour lui permettre de s’alimenter convenablement, une fois son loyer payé. Vous rendez-vous compte que vous m’interdisez de transmettre ma réduction d’impôt dont je ne sais que faire à une personne que vous gardez délibérément dans la pauvreté ?

Monsieur le Ministre, voici donc ma proposition. Puisque je ne peux en disposer comme je le souhaite, gardez ma réduction d’impôt. Un coup parti, organisez-vous pour collecter les trop nantis experts de l’évasion fiscale. Et dirigez cet argent vers les gens qui en ont désespérément besoin pour sortir de la pauvreté, ainsi que vers les organismes qui les défendent et les soutiennent. Nous en serons collectivement plus riches.

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