Maxime Catellier

Cartographie de l’enfance

Avec Mont de rien, Maxime Catellier donne envie de dérouler le fil de tous ses livres ayant précédé ce point d’orgue extraordinaire. Rarement a-t-on lu une langue de l’enfance aussi brute et aussi vraie.

Dans ce roman hybride – en trois périodes, deux intermèdes et une prolongation – d’une naissance au monde à Saint-Anaclet-de-Lessard, Maxime Catellier prend possession de son territoire (ou de la rondelle) par la parole, en nommant les choses telles qu’elles lui apparaissent, nouvelles et éclatantes dans une série magique de premières fois, et tire au but à tous les coups. L’hommage au hockey, seul filon mythique du Québec, donne la structure de ce livre où l’on entre par la porte d’une maison de rang près de Rimouski, et une poésie presque naïve et épurée, pour terminer dans une prose aussi tassée qu’une mêlée au fond du filet, à Montréal à feu et à sang lors des émeutes de la Coupe Stanley en 1993. En exergue des trois périodes, Boy George, Michael Jackson et Kurt Cobain, repères temporels d’une jeunesse des années 80-90, tandis que les intermèdes sont les chocs de la Bataille du Vendredi saint en 1984 et la fameuse veine tranchée de Clint Malarchuck en 1989.

Sauf que celui qui parle n’est pas un sportif, c’est un poète en devenir, déjà avide de son indépendance : 

« mais je n’ai pas besoin

d’aller à l’école

je peux apprendre tout seul

maintenant que je sais lire »

Il sait qu’il lui faudra fuir, avec sa collection de timbres qui vaut un million, pense-t-il, hors de l’enfance, vers son île déserte et ce qu’il croit être la liberté, dans cette « attente infatigable de vieillir », car : 

« demain

les légendes m’attendent

dans les mers lointaines

comme me l’ont promis

tous les livres

et je n’aurai plus peur

de partir d’ici

pour découvrir le monde »

Mais cet exil tant rêvé sera « le chemin qu’il me faudra prendre pour encaisser la mort de mon enfance à mesure que les études deviendront de l’écœurement, le contraire de la grâce des livres que je dévorais sous la lampe en cachette derrière les portes secrètes de la maison de saint-anaclet-de-lessard, quand les hockeyeurs cybernétiques affrontaient michel lenoir au cœur de la révolte des inactifs ; il me reste à vivre jusqu’au bout de ce jour pour que ça recommence à briller ».

Entre les deux, on retrouve toutes les saveurs et affaires affolantes de quand on est petit (et pourtant si grand dans nos appétits) : la crème glacée napolitaine, le 7Up bu dans un « verre à moutarde », les vinyles et les cassettes, les pits de sable et les forts de neige, jusqu’aux premières poffes « d’exportés » et des premiers joints, le walkman jaune et la « croix rouge sang » du Mont de rien.

Butineur de maisons d’édition, Maxime Catellier, 35 ans, est resté fidèle à L’Oie de Cravan pour son 13e livre, parce qu’elle en fait de superbes objets, et celui-ci ne fait pas exception. Il y avait déjà publié Bancs de neige (2008), Bois de mer (2010), Perdue (2013) et Golden Square Mile (2015). Mont de rien est dédié à deux amis disparus trop tôt et à son tout jeune fils Léonard : pour « te donner un monde à construire entre le jour et la nuit, un monde où tes peurs vont guérir les miennes, je vais essayer de garder une trace de ma vie. Je vais écrire mon histoire ».

Puisque seule la mort sonne la fin de la game

Mont de rien

Maxime Catellier

L’Oie de Cravan

123 pages

4 étoiles

Extrait

« nordiques versus canadiens

sur la glace bleue du forum

s’affrontent en ce vendredi saint

pour savoir qui mange la pomme

hunter et carbo se ramassent

par le chandail en moulinant

les bras par-dessus le bon juge

sans s’en crisser une vraiment »

Critique

Dépendance de la groupie

Trente
Marie Darsigny
Éditions du remue-ménage
147 pages
3 étoiles et demie

MES AUTEURES PRÉFÉRÉES SONT TOUTES MORTES OU DÉPRIMÉES, scande la narratrice de Trente, en grosses lettres, dans ce journal où elle fait le décompte des jours avant d’atteindre ses 30 ans, un deadline insupportable pour qui ne veut pas vieillir. Dans son firmament personnel brillent les étoiles que sont Nelly Arcan, Elizabeth Wurtzel, Marie-Sissi Labrèche, Sylvia Plath et Michelle Tea, et aussi la ténébreuse actrice Angelina Jolie, à qui elle voue un culte. Mais comment écrire sa détresse d’être fille, un peu folle, accro à la dope et à la douleur, quand elle estime qu’elle a déjà été décrite par ses idoles inatteignables ? « Je ne fais que répéter ce qui a déjà été dit, mieux dit, par celles qui m’ont précédée, on ne réinvente rien, la roue continue de tourner, mais moi j’aime bien me mettre le doigt dedans, la main au complet dans l’engrenage, plonger dans le bobo jusqu’au coude », écrit-elle, dans cette logorrhée parfois très drôle de Marie Darsigny, qui flirte avec une parodie d’autofiction souffreteuse, tout en étant un hommage très tonifiant aux bad girls de la littérature – et c’est tant mieux, puisque les vieux profs de désespoir ont depuis longtemps leurs fan-clubs. Tapissé de références à la culture pop, agrémenté de quelques collages, Trente est aussi un éloge de l’anti-bonheur et de la rébellion, pour toutes celles qui dansent, le mascara coulant, sur Only Happy When it Rains de Garbage. 

— Chantal Guy, La Presse

Critique

Le goût de lire

La société des grands fonds
Daniel Canty
La Peuplade
178 pages
3 étoiles et demie

L’amour de la lecture se dilue dans l’eau de temps modernes surexcités. On l’a vu lors d’un sondage récent chez les jeunes lecteurs et on le constate même dans les médias. Ce livre de Daniel Canty est une célébration sans équivoque de plaisirs presque interdits. Slalomant habilement entre récit et essai, l’auteur fait partager ses désirs coupables qui vont de Borges à Melville, en passant par Ducharme, Calvino et des artistes d’autres disciplines qui l’ont touché. Dans une langue belle et juste qui coule de source, Daniel Canty caresse le fond des choses de manière souvent surprenante et ludique. Ce grand voyageur parle de lui, mais surtout de lectures qui élèvent le quotidien et le passé au rang du mythe. Si on lit entre les lignes de cet auteur brillant, on pourrait dire que la fiction fait du bien, la poésie guérit, et l’essai rend plus fort. Çà et là, il y a bien quelques froides distances entre sa pensée et nous, pauvres lecteurs, mais le goût de lire reste intact. Notons que les textes du recueil ont été publiés auparavant dans la revue Bathyscaphe entre 2008 et 2013.

— Mario Cloutier, La Presse

Critique

La guerre après la guerre

La mémoire du sable
Lyne Vanier
XYZ éditeur
231 pages
3 étoiles

Après une trentaine de livres jeunesse, l’auteure et psychiatre Lyne Vanier signe ici un premier roman pour adultes avec un résultat heureux et convaincant en dépit de certaines inégalités. À travers l’histoire triste à arracher le cœur de Mathieu, un jeune homme de 25 ans revenu d’une mission en Afghanistan, l’auteure aborde de façon frontale le mal qu’est le syndrome de stress post-traumatique avec toutes ses conséquences. Ici, elles s’appellent drogues, cauchemars, isolement, paranoïa, etc. Dans ce sombre tableau, il y a quelques scintillements auxquels Mathieu – et le lecteur – s’accroche. L’écriture est vive. Les phrases sont courtes. Tac ! Tac ! Tac ! Elles sont débitées au rythme d’une arme automatique de fantassin. Les longs passages en forme de soliloques de Mathieu sont convaincants. Par contre, les dialogues sont mous et prévisibles. À quelques reprises, l’auteure pige aussi dans la culture et le langage populaires (le fameux pogo pas dégelé de Manon Massé, par exemple) pour alimenter les réflexions de son personnage principal. Des emprunts inutiles et mal foutus. Cela dit, Lyne Vanier réussit à bien nous expliquer cette guerre intérieure qui mine tant de militaires après leur retour du front.

— André Duchesne, La Presse

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