Fermetures de guichets en région

Des maires en guerre contre Desjardins

Une récente vague de fermetures de guichets automatiques et de comptoirs Desjardins dans plusieurs villages en région provoque une levée de boucliers de la part d’élus locaux, qui craignent des effets dévastateurs sur les petites localités.

« Ils vont tuer des villages, ça va faire ben mal », dénonce Denis Légaré, maire de Notre-Dame-de-la-Salette, en Outaouais.

Les craintes sont les mêmes dans le Bas-Saint-Laurent, dans les Bois-Francs et ailleurs au Québec, où des élus et des citoyens ont fait circuler des pétitions, offert d’organiser des soupers-spaghetti pour financer l’achat de nouveaux guichets, ou proposé que les ristournes servent à maintenir les services locaux.

Partout, les caisses locales ont rejeté ces solutions.

« On a proposé que la municipalité paie pour le guichet, qui coûte 75 000 $, selon ce que la caisse nous a dit. Mais ils nous ont répondu que ça ne se faisait pas. »

— Denis Légaré, maire de Notre-Dame-de-la-Salette

Les maires des villages touchés estiment que Desjardins, en tant que coopérative, devrait se préoccuper des besoins de ses membres tout autant que des impératifs financiers. « C’est comme si les particularités des régions ne comptaient pas pour les hautes instances à Montréal », s’indigne Louis-Georges Simard, maire de Rivière-Ouelle, dans le Bas-Saint-Laurent.

La grogne se manifeste de la même façon dans plusieurs régions, bien qu’il n’y ait pas de mouvement concerté des élus dans l’ensemble du Québec.

« On cherche des solutions »

L’institution financière répond qu’elle n’a pas le choix de s’adapter à la diminution de l’utilisation des guichets automatiques et des services au comptoir, à mesure que les clients se tournent vers les services en ligne : aujourd’hui, seulement 2 % des transactions sont faites dans des points de service et 7 % au guichet, tandis que 49 % des transactions sont faites en ligne.

Mais le président du Mouvement Desjardins, Guy Cormier, a semblé hier, pour la première fois, montrer une plus grande ouverture aux compromis. « On cherche des solutions », a-t-il affirmé en entrevue au Soleil. Par exemple : « Est-ce que le guichet pourrait être installé à l’hôtel de ville ? Est-ce qu’on pourrait partager un employé de l’hôtel de ville et de la caisse ? Durant la semaine, elle pourrait travailler un certain nombre d’heures pour la Ville et un autre nombre d’heures pour la caisse », a-t-il évoqué comme pistes.

Aucun élu à qui nous avons parlé hier n’était au courant de ces solutions évoquées par M. Cormier. D’ailleurs, à Rivière-Ouelle et à Notre-Dame-de-la-Salette, les guichets Desjardins sont déjà installés dans les locaux municipaux, ce qui n’a pas empêché les caisses locales d’annoncer leur disparition. Même si Notre-Dame-de-la-Salette n’exige aucun loyer à Desjardins.

Machines nouvelles et plus rares

Les retraits annoncés de guichets automatiques sont liés au déploiement de nouveaux appareils par les caisses Desjardins à partir de l’automne. Les appareils offriront de nouvelles fonctionnalités, comme le dépôt sans enveloppe et l’écran tactile.

Or, plutôt que d’investir des milliers de dollars dans l’installation de nouvelles machines, plusieurs caisses préfèrent les retirer de certaines localités, estimant qu’elles ne sont pas assez utilisées.

Combien doit-il y avoir de transactions pour qu’un guichet soit conservé ? Les dirigeants de Desjardins refusent de donner des chiffres à ce sujet, expliquant que les caisses doivent aussi tenir compte de la proximité d’autres points de service et du profil de leurs membres.

« C’est du cas par cas, souligne Marc Villeneuve, vice-président pour le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine. Les décisions ne sont pas prises de gaieté de cœur par les caisses. »

6000

Les élus municipaux se sont fait dire qu’il fallait environ 6000 transactions par mois pour qu’un guichet soit rentable pour Desjardins.

À Kamouraska, par exemple, même en saison touristique, le guichet enregistre 3800 transactions par mois. À Rivière-Ouelle, 1800. À Ripon, en Outaouais, 3000. À Notre-Dame-de-la-Salette, 2500. À Ham-Nord, 2000.

Pour de si petites localités, un tel nombre de transactions n’est pas négligeable, mais ça ne semble pas suffisant pour justifier l’investissement pour un guichet de nouvelle génération.

À Ham-Nord, un village de 850 habitants des Bois-Francs, les élus ont lancé une pétition, à la demande de citoyens mécontents. Avec quatre municipalités des environs, ils ont recueilli 1200 signatures. « Mais les dirigeants de la caisse nous ont dit qu’ils n’étaient pas prêts à reconsidérer leur décision », se désole le maire François Marcotte, qui craint l’impact économique de ce geste.

« Nous sommes un petit centre régional, alors les gens des villages des environs, quand ils viennent à la caisse, ils vont aussi faire des achats au garage, à la coop, à la quincaillerie. Là, ils vont aller 30 kilomètres plus loin à Victoriaville, Disraeli ou Asbestos, et nos commerces locaux vont en souffrir. »

Destitution et fermetures de comptes

À Ripon, le président de la Coopérative de Solidarité Place du Marché, Vincent Ouellette-Destroismaisons, est tellement en furie contre le conseil d’administration de la Caisse Desjardins de la Petite-Nation qu’il a entrepris des démarches pour demander sa destitution.

Il déplore la fermeture « sauvage » du guichet automatique, en décembre dernier, alors que les membres n’avaient pas été informés, trois jours avant la tenue du marché de Noël, où presque toutes les transactions se font en argent comptant avec les producteurs et artisans locaux venus vendre leurs produits.

« Ils ont seulement envoyé un dépliant pour dire aux gens d’aller retirer de l’argent à la caisse du village voisin quand ils iraient faire leurs achats. C’est une façon de dire aux commerçants de Ripon : votre village est mort ! »

— Vincent Ouellette-Destroismaisons  président de la Coopérative de Solidarité Place du Marché de Ripon

Desjardins a suggéré au marché de se procurer des terminaux permettant aux clients de payer avec une carte de débit et de retirer de l’argent comptant par la même occasion. Mais le marché, géré par des bénévoles, devrait avoir en tout temps des sommes importantes en sa possession, ce qui n’est pas possible, dit son président.

Une pétition en ligne a recueilli plus de 2000 signatures pour forcer la tenue d’une assemblée générale extraordinaire de la caisse sur la disparition du guichet de Ripon. Cependant, les dirigeants ont affirmé qu’ils ne tiendraient pas de vote sur la question, ce qui a incité Vincent Ouellette-Destroismaisons à entreprendre des démarches pour la destitution du conseil d’administration.

« Je suis moi-même président d’une coop, et il me semble qu’une coop doit travailler de concert avec ses membres, pas contre eux, dit-il. Si Desjardins est devenue une institution financière si solide, c’est parce qu’elle avait un monopole dans les régions, les gens ne se posaient pas de question quand ils ouvraient un compte, ils allaient chez Desjardins. Mais à la différence d’une entreprise privée, une coop a le devoir moral de desservir ses membres dans les régions où ça n’est pas nécessairement rentable. »

« Le lien affectif de la population avec Desjardins est en train de se rompre », constate André Simard, maire de Saint-Roch-des-Aulnaies, où l’on a proposé, un peu de façon ironique, d’organiser des soupers-spaghetti pour aider Desjardins à financer l’installation d’un nouveau guichet.

« On a l’impression que les caisses prennent leurs décisions en ne tenant compte que de la rentabilité », souligne Louis-Georges Simard, de Rivière-Ouelle.

Pour protester, les municipalités de Notre-Dame-de-la-Salette, Ripon et Plaisance, dont les affaires financières sont entre les mains de Desjardins, ont l’intention de changer d’institution financière, confie Denis Légaré.

Mesures d’accompagnement

En réponse à ces critiques, le président du Mouvement Desjardins, Guy Cormier, a souligné hier que 30 % des points de services sont dans des zones de moins de 2000 habitants, contre 2 % pour les banques. Au Québec, Desjardins a presque autant de points de services que les banques, toutes enseignes confondues, ont de succursales.

M. Cormier répondait aux questions des journalistes à l’occasion du dévoilement des résultats financiers de Desjardins, qui a déclaré des excédents de 2,15 milliards, en hausse de 21 % par rapport à l’exercice précédent, et des revenus d’exploitation en hausse de 9 %, à 15,4 milliards.

Marc Villeneuve, vice-président pour le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine, évoque des mesures d’accompagnement mises en place dans les secteurs où les services sont coupés, allant jusqu’à l’offre de transport gratuit pour les personnes qui doivent se rendre à un point de service de Desjardins dans une autre localité.

« Les mesures d’accompagnement proposées par Desjardins, les citoyens appellent ça des soins palliatifs », laisse tomber Louis-Georges Simard, de Rivière-Ouelle, dépité. « On tente par tous les moyens de revitaliser nos régions, mais on se sent abandonnés avec des décisions comme ça. »

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