Chronique

Enerkem a les moyens de réaliser ses ambitions

Enerkem a mis au point et développe depuis maintenant 15 ans un procédé unique au monde qui permet de transformer les déchets non recyclables en biocarburants. L’entreprise montréalaise vient de réaliser un financement record de 150 millions qui lui permettra de soutenir sa croissance d’ici à ce qu’elle atteigne le seuil de rentabilité.

Le processus de l’innovation peut être long et coûteux, mais il vaut parfois la peine de se montrer patient tout en développant des habiletés pour s’adjoindre des partenaires financiers qui partagent cette vertu.

Dans le cas d’Enerkem, ce sont 300 millions qui ont été investis au cours des 15 dernières années pour construire, dans un premier temps, une usine-laboratoire à Sherbrooke, puis une bioraffinerie pilote à Westbury, dans les Cantons de l’Est, et enfin une vraie usine de production industrielle à Edmonton, en Alberta, qui est aujourd’hui pleinement opérationnelle.

« Il faut savoir être patient, quand on innove, et il faut l’être doublement quand on fait de l’innovation de rupture, comme on le fait chez Enerkem », m’a expliqué hier Vincent Chornet, PDG et fondateur d’Enerkem, qui a entrepris de tabler sur les travaux de recherche que son père Esteban Chornet avait réalisés à titre de professeur émérite de l’Université de Sherbrooke.

L’entreprise qui a développé son procédé unique de transformation des matières résiduelles non recyclables en éthanol et méthanol se retrouve aujourd’hui en bonne position pour opérer une grande révolution mondiale dans la gestion des déchets domestiques.

Malgré de nombreux retards dans l’exécution de ses plans, Enerkem exploite aujourd’hui une première usine à Edmonton qui est en mesure de transformer 100 000 tonnes de déchets en 10 millions de gallons de méthanol, un produit largement utilisé dans l’industrie chimique et qui sert notamment à la fabrication de liquide lave-glace.

Le rodage de cette première bioraffinerie a été plus long que prévu et la production d’éthanol a été reportée à l’an prochain, moment où on va ajouter aux installations une unité de conversion qui va transformer le méthanol en éthanol, additif servant à la production de l’essence et qui va se substituer à l’éthanol fabriqué à partir du maïs.

Comme innovation de rupture, on peut difficilement faire mieux.

Plutôt que de surcharger des sites d’enfouissement avec des déchets non recyclables toujours plus abondants ou de recourir à l’incinération, très polluante, on va utiliser ces matières non recyclables pour à terme produire de l’essence et ramener la production de maïs à sa fonction première, soit l’alimentation humaine et animale.

UN DERNIER FINANCEMENT

Enerkem s’est associée à des investisseurs stratégiques qui comprennent toute la complexité que représente le déploiement de cette nouvelle technologie en une opération industrielle efficace et conséquente.

Dans son dernier cycle de financement de 152 millions, les investisseurs d’Enerkem – la multinationale Waste Management, les fonds Rho Ventures, Braemar Energy Ventures, Cycle Capital Management, Valero, Investissement Québec, le Fonds de solidarité et Fondaction CSN – ont réinvesti 50 millions en placement privé.

Le groupe Integrated Asset Management Corp. a réalisé un prêt de 29 millions, tandis que deux autres prêteurs privés ont allongé 73,6 millions.

Selon Vincent Chornet, les fonds obtenus devraient permettre à Enerkem de faire le pont vers l’atteinte de la rentabilité, puisque l’entreprise va commencer à récolter des revenus sur une base récurrente

Enerkem peut également entreprendre la construction de sa bioraffinerie québécoise à Varennes, une copie conforme de l’usine albertaine, projet qui aurait dû démarrer cette année, mais qui ne s’amorcera que l’an prochain.

Le trésor de guerre qu’a amassé l’entreprise va aussi lui permettre de soutenir sa croissance à l’international. Enerkem a déjà un site pour implanter une bioraffinerie dans l’État du Mississippi et prévoit implanter plusieurs autres usines aux États-Unis où elle peut compter sur l’appui financier de Waste Management, plus gros gestionnaire de déchets américain.

J’ai rencontré Vincent Chornet en octobre dernier à Shanghai, dans le cadre d’une mission économique que menait le premier ministre Philippe Couillard en Chine.

Enerkem a réalisé des ententes en vue de la construction de trois bioraffineries avec des partenaires chinois qui vont participer au financement de leur implantation.

L’entreprise a plus d’une vingtaine de projets d’implantation réalisables, mais son PDG veut agir de façon disciplinée.

« On vient de marquer un jalon industriel majeur avec l’entrée en production de l’usine d’Edmonton. Là, on va reproduire le modèle à Varennes et aux États-Unis. On connaît les erreurs qu’on a faites, on a un modèle opérationnel et on va y aller par étapes », prévient Vincent Chornet.

Ce qui est une excellente nouvelle pour les 180 entreprises québécoises qui sont fournisseurs d’Enerkem, qui fait fabriquer toutes les composantes de ses bioraffineries au Québec. La nouvelle multinationale du recyclage et de l’énergie pourrait avoir les mêmes effets d’entraînement sur ces PME que Bombardier dans le secteur de l’aéronautique.

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