« Il contrôlait tout »

Karine Lucas ne s’était pas rendu compte qu’elle était victime de violence conjugale avant que son ex ne tente de la tuer à coups de marteau.

Il ne l’avait jamais frappée. Ça ne l’empêchait pas d’être violent.

Karine avait 17 ans lorsqu’elle a rencontré Alain Bilodeau. Rapidement, elle a emménagé avec son nouvel amoureux chez le père de ce dernier. La lune de miel a été courte.

À la maison, Alain et son père se chicanaient constamment. Ils se lançaient des objets, ils hurlaient, ils s’injuriaient.

Un jour, six mois qu’Alain et Karine étaient ensemble, il a projeté une jarre à biscuits dans sa direction. Elle a eu des éclats de verre plein la cuisse.

« C’est là que j’aurais dû partir. Mais j’avais 17 ans. J’étais en amour et je venais d’un milieu violent, moi aussi. Alors j’ai cru que c’était normal », confie la femme aujourd’hui âgée de 38 ans. Elle est restée.

Ils ont acheté une maison. Ils ont eu deux filles ensemble.

« De l’extérieur, on avait l’air du vrai petit couple modèle », dit Karine Lucas. Mais derrière des portes closes, Alain Bilodeau avait la mainmise sur tous les aspects de sa vie.

Au magasin, c’est lui qui choisissait les vêtements qu’elle devait acheter. « Je lui disais que je n’étais pas confortable, il me répondait que ça allait bien à la vendeuse. »

Lorsqu’elle appelait sa mère, il se mettait à crier. « J’étais gênée, alors je n’appelais plus. »

Elle n’a réussi à obtenir un permis de conduire qu’à 22 ans. Il ne voulait pas.

Quand elle a eu son diplôme de toilettage d’animaux, il le lui a déchiré en plein visage.

« C’était comme de toujours marcher sur des œufs. Il contrôlait tout. »

Le couple a déménagé souvent. Karine n’avait pas le droit de voir ses amis. Elle était isolée. Mais comme il ne la frappait pas, elle ne pouvait pas s’imaginer qu’elle était victime de violence de la part de son chum.

Elle est restée 16 ans avec lui ; 16 ans à espérer que les choses iraient mieux.

« Dans les bons moments, il était super attentionné et charmeur. Ça m’a fait garder espoir trop longtemps », dit-elle.

Puis, un jour, elle a vu clair. « Je voulais que mes enfants aient une mère heureuse. Moi, je n’ai pas eu une mère heureuse et je ne voulais pas qu’ils vivent la même chose que moi. »

Elle a annoncé à Alain qu’elle le quittait. Ils ont continué à vivre ensemble durant quelques mois, le temps qu’elle trouve un logement et qu’elle inscrive les filles dans une nouvelle école.

Durant cette période, elle a souvent appelé la police. Il la menaçait. Elle en avait peur.

Elle est partie en avril 2009. C’est lui qui devait l’aider à déménager. Il l’a abandonnée au bord de l’autoroute, à plus d’une heure de sa destination finale.

Une semaine environ après le déménagement, Karine était au travail. Alain était venu chez elle pour passer la journée avec ses filles.

« Il a vu qu’il y avait deux coupes de vin dans le lave-vaisselle. Il a capoté. Il m’a téléphoné au travail et m’a ordonné de revenir. Il était avec les enfants alors j’ai écouté. » Il était furieux.

Le 21 avril, Alain Bilodeau a défoncé la porte de l’appartement à coups de marteau et a attaqué Karine devant sa plus jeune fille.

La femme a hurlé si fort que plusieurs voisins ont appelé la police.

« Il y a une image que je n’oublierai jamais. Je suis couchée dans le couloir. Il est par-dessus moi et il m’étrangle. »

— Karine Lucas

« Les policiers essaient d’entrer, ajoute-t-elle, mais il tient la porte avec ses pieds. Je ne vois que des yeux dans l’entrebâillement. »

Elle s’en est tirée de justesse avec plusieurs fractures au visage, une commotion cérébrale et un violent choc post-traumatique. Son ex a été condamné à sept ans de prison.

Il lui a fallu des années avant de ne plus se sentir coupable. « Je m’en voulais d’être partie. Je voyais le dégât que cette histoire avait fait sur mes enfants. » Elle a pensé à la mort. Elle a pleuré. Elle a regretté. Mais aujourd’hui, enfin, elle est heureuse et épanouie.

Alain Bilodeau est sorti de prison. Elle dit ne pas avoir peur de lui. Elle fait des arts martiaux. Elle habite tout près d’un poste de police. Il y a des gants de boxe sur une commode dans son appartement. Dans un coin, elle a déposé un punching bag. « Je crois que j’ai plus peur de moi et de ma force que de lui. »

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