Chronique 

La charte des voyageurs vous fera perdre le nord

La charte des voyageurs qui entre en vigueur le 15 décembre a l’apparence d’un cadeau de Noël pour les vacanciers qui prendront les aéroports d’assaut durant le temps des Fêtes.

Malheureusement, le cadeau est tellement compliqué à déballer que j’ai bien peur que les consommateurs ne le laissent dans la boîte.

« La charte est d’une complexité inouïe. C’est épouvantable ! Comment peut-on rendre ça accessible au grand public ? », se désole Pierre-Claude Lafond, professeur de droit à l’Université de Montréal.

Pour cet expert du droit de la consommation, la rédaction de la charte est carrément « schizophrénique ». Si vous croyez qu’il exagère, essayez de lire le « Règlement sur la protection des passagers aériens ». C’est presque aussi indigeste que la loi de l’impôt !

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Sur papier, il faut reconnaître qu’il y a des avancées. Les premiers éléments de la charte qui sont entrés en vigueur le 15 juillet dernier apportaient déjà de petites améliorations. Par exemple, les passagers ont maintenant droit à des indemnités allant jusqu’à 2100 $ pour des bagages perdus ou endommagés, y compris sur les vols intérieurs. Et en cas de surréservation, les dédommagements ont été bonifiés.

Mais l’application des éléments les plus importants de la charte avait été reportée à la mi-décembre, sous la pression de l’industrie qui a d’ailleurs intenté une poursuite devant la cour fédérale, arguant que la charte entre en conflit avec la Convention de Montréal. Ça commence mal !

En attendant que la cour tranche le dossier, la charte va bel et bien s’appliquer dans son intégralité à partir du 15 décembre.

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Alors, quoi de neuf ? Heu… ça dépend.

Désormais, les transporteurs doivent indemniser les passagers dont le vol a été perturbé par une annulation ou un retard. Mais le montant varie en fonction du nombre d’heures de retard. Et l’indemnité est plus importante pour un grand transporteur (max. : 1000 $) que pour un petit (max. : 500 $).

L’Office des transports du Canada (OTC) explique que 9 vols sur 10 sont assurés par de grands transporteurs (plus de deux millions de passagers par année). Les plus petits sont des transporteurs à bas coûts ou des compagnies qui desservent des régions éloignées. Malheureusement, l’OTC est incapable de fournir une liste officielle. Pour savoir à quoi s’en tenir, les passagers doivent consulter le tarif des transporteurs, un document particulièrement long et complexe.

Mais attention, ces indemnités ne seront pas versées si le vol est perturbé par un événement indépendant de la volonté du transporteur : météo, guerre, urgence médicale, conflit de travail chez le transporteur, etc.

Il n’y aura pas d’indemnité non plus si le retard ou l’annulation est dû à un bris mécanique, sauf si le problème avait été détecté lors de l’entretien régulier de l’appareil.

Misère, ce ne sera pas facile de faire la part des choses pour le client qui n’est pas assis dans la tour de contrôle !

« Les bris mécaniques et la météo risquent d’avoir le dos large », craint Jacob Charbonneau, président de volenretard.ca, dont la mission est d’aider les passagers à obtenir leur dû. Parfois, il va jusqu’à demander l’accès au journal de bord de l’appareil pour savoir ce qui s’est vraiment produit.

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Si vous trouvez ça compliqué, attendez la suite…

À partir du 15 décembre, les transporteurs doivent traiter leurs passagers avec plus d’égards lors de retards, d’annulations de vols ou de surréservations. Notamment, ils doivent leur fournir de la nourriture et un hébergement.

Ici, les règles s’appliquent dans tous les cas de perturbations attribuables au transporteur, peu importe la raison.

Par ailleurs, les transporteurs aériens ont maintenant l’obligation de s’assurer que les passagers se rendent à leur destination finale dans tous les cas de perturbation (retard, annulation, surréservation).

Mais ici encore, il y a une foule de nuances.

À la base, la compagnie doit offrir une nouvelle réservation sur son prochain vol disponible lorsque le passager est retardé d’au moins trois heures.

La compagnie peut aussi être tenue de réacheminer le passager sur le vol d’un concurrent. Mais ça dépend s’il s’agit d’un gros ou d’un petit transporteur, du nombre d’heures de retard et de la raison de la perturbation.

« Ce n’est pas simple, simple, si on compare avec la charte européenne, où peu importent les circonstances, le passager doit être redirigé dans les meilleurs délais. Ça, c’est simple ! »

— Jacob Charbonneau, président de volenretard.ca

Ah oui, j’oubliais. Si jamais la nouvelle réservation offerte ne convient pas, le passager peut aussi exiger un remboursement complet. Il aura alors droit à une indemnité de 400 $ pour les inconvénients… mais de seulement 125 $ s’il s’agit d’une petite compagnie.

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Avec des règles aussi complexes, les transporteurs pourront aisément se défiler.

J’ai bien peur que les employés des transporteurs, faute de formation, ne donnent pas l’information exacte aux voyageurs. Dans l’urgence du moment, ils pourront dire n’importe quoi aux passagers qui n’auront pas l’information pour faire valoir leurs droits.

Personne ne peut connaître la charte sur le bout des doigts ! Même les experts s’y perdent dans ses subtilités. Et ce charabia fait bien l’affaire de l’industrie.

Survol de la charte

Bagages perdus ou endommagés

• Jusqu’à 2100 $ de dédommagement sur les vols internationaux et intérieurs.

• Si les bagages sont endommagés, la réclamation doit être soumise dans les sept jours suivant la réception des bagages.

• Si les bagages sont potentiellement perdus, le passager dispose de 21 jours après la date où les bagages auraient dû être livrés. 

Refus d’embarquement (surréservation)

• Le transporteur doit chercher des volontaires disposés à céder leur siège.

• Indemnité minimale de 900 $ pour un retard de 0 à 6 heures, de 1800 $ pour 6 à 9 heures et de 2400 $ pour 9 heures et plus.

• Le transporteur doit changer la réservation sans frais et verser l’indemnité automatiquement dans les 48 heures suivant le refus d’embarquement.

Perturbation de vol (retard, annulation)

• Pour les grandes compagnies aériennes, l’indemnité minimale est de 400 $ pour un retard de 3 à 6 heures, de 700 $ pour 6 à 9 heures et de 1000 $ pour 9 heures et plus.

• Pour les petites compagnies aériennes, l’indemnité minimale est de 125 $ pour un retard de 3 à 6 heures, de 250 $ pour 6 à 9 heures et de 500 $ pour 9 heures et plus.

• Le passager a un an pour soumettre sa réclamation.

• L’indemnisation est versée seulement lors de perturbations attribuables au transporteur qui ne sont pas nécessaires par souci de sécurité.

Normes de traitement

• Si le départ du vol est retardé de plus de 2 heures, le transporteur doit fournir de la nourriture et des boissons en quantité raisonnable, ainsi que des moyens de communication (WiFi).

• Si le retard se prolonge durant la nuit, il doit fournir l’hébergement.

• Ces règles ne s’appliquent pas si la perturbation est indépendante de la volonté du transporteur (p. ex. : météo).

Attente sur le tarmac

• Le transporteur doit laisser les passagers descendre après 3 heures. Un délai supplémentaire de 45 minutes est accordé si le décollage est probable.

• À bord de l’appareil, le transporteur doit fournir l’accès à des toilettes fonctionnelles, ventilation ou chauffage, nourriture et boissons et capacité de communication.

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