OPINION SOCIÉTÉ

Pour une commission sur le racisme systémique

Le racisme est-il un grave problème au Québec autant qu’ailleurs en Occident ? Lourde question qu’on devrait se poser. Plusieurs chiffres nous donnent déjà une triste idée de la réalité.

En 2015, une étude de l’Université McGill démontre que le premier facteur déterminant une plus grande présence policière dans une ville n’est pas le taux de criminalité qui y sévit, mais le nombrede personnes racisées et autochtones qui y vivent. Plus surveillées, ces personnes sont donc plus nombreuses derrière les barreaux. En 2013, l’enquêteur correctionnel Howard Sapers révélait qu’au cours des 10 dernières années, la population carcérale autochtone avait augmenté de 46,4 % ; celle des Noirs, de 90 %, mais que celle des personnes blanches avait diminué, malgré un taux de criminalité similaire.

Cette discrimination raciale n’est pas le propre du système judiciaire. Le sociologue Paul Eid nous a déjà révélé que les noms comme Tremblay ou Bolduc ont 60 % plus de chances d’être invités à un entretien d’embauche qu’une Traoré ou un Ben Saïd. Les conséquences sont désastreuses. Selon les années, les communautés noires et maghrébines sont affligées par un taux de chômage de deux à trois fois plus élevé que la moyenne.

Et ce n’est pas comme si l’État faisait sa part. Il manquerait 25 000 fonctionnaires issus des communautés racisées dans l’administration québécoise, selon une récente enquête menée par Radio-Canada. Et en 2012, on ne comptait que 5,9 % de communautés racisées dans l’administration montréalaise, alors qu’elles comptent pour 30 % de la population de la ville.

Par ailleurs, la Ville de Montréal n’arrive pas depuis 2014 à renouveler son plan de lutte contre le profilage racial ni à mettre sur pied une unité contre les crimes haineux.

Les médias et l’industrie des arts et de la culture ne font guère mieux. En plus de véhiculer des stéréotypes sur les communautés racisées et les autochtones, ces milieux ne leur laissent pas la parole. À peine 5 % des premiers rôles à la télévision leur reviennent et on peut compter les chroniqueurs issus de la diversité culturelle au Québec sur les doigts d’une main.

Même réalité parmi les élus. Il n’y a que cinq députés issus des communautés racisées sur 125 élus à l’Assemblée nationale. Pour les élus de la Ville de Montréal, c’est 4 sur 103.

On ferait donc fausse route en pensant que le « succès » ou la visibilité publique de plusieurs minorités au Québec prouve une égalité. Ce serait masquer un phénomène que ces chiffres esquissent à peine.

COMPRENDRE ET DÉFINIR LE PHÉNOMÈNE

Ce phénomène, on peut le nommer « racisme systémique ». Le Barreau du Québec en pose la définition suivante : « Nous entendons par racisme systémique la production sociale d’une inégalité fondée sur la race dans les décisions dont les gens font l’objet et les traitements qui leur sont dispensés. L’inégalité raciale est le résultat de l’organisation de la vie économique, culturelle et politique d’une société ».

Même si cette définition est imparfaite et incomplète, sa construction à la forme passive donne une image frappante de ce qu’est le racisme systémique : une violence qui avance masquée, sans coupable unique ou bien identifié ; une violence qui se laisse repérer essentiellement par ses effets. Ces effets, les chiffres préoccupants que nous venons de citer nous en parlent.

Pour s’attaquer au racisme systémique, il faut d’abord le comprendre. Il nous faut donc aussi dénoncer le refus politique de mieux documenter encore le phénomène du racisme. Par exemple, plusieurs organisations autochtones demandent depuis des années que des études soient réalisées sur la discrimination raciale vécue par ces communautés. Faire la lumière sur la vérité et mieux éduquer les Québécois sur ces vérités sont des premières étapes importantes de l’élaboration de solutions.

Il faut également reconnaître le manque d’outils politiques et légaux pour rendre compte de l’intersectionnalité des oppressions, c’est-à-dire de l’expérience de double, triple, quadruple discrimination vécue par les femmes, les personnes LGBT, les personnes en situation de handicap et les minorités linguistiques qui sont par ailleurs racisées dans notre système de justice, nos établissements de santé, nos institutions scolaires, et notre marché de l’emploi, notamment.

Pour toutes ces raisons, nous demandons au premier ministre Philippe Couillard de tenir une commission sur le racisme systémique au Québec. Il est de sa responsabilité de faire la lumière sur un phénomène qui coupe les ailes de dizaines de milliers de personnes, et ce, au nom des valeurs de liberté et d’égalité.

Co-auteurs : Suzie O’Bomsawin, Will Prosper, Haroum Bouazzi et Gérard Bouchard.

Signataires : Alexandre Abecassis,Yves Alavo, Dorothy Alexandre, Ericka Alnéus, Valérie Amiraux, Pascale C. Annoual, Keithy Antoine, Dalila Awada, Christine Beaulieu, Chedly Belkhoudja, Coline Bellefleur, Merouane Kamereddine Bensalem, Agnès Berthelot-Raffard, Willy Blomme, Samuel Blouin, Doudou Boicel, Charles Bottex, Ariane Bottex-Ferragne, Gérard Bouchard, Rémi Bourget, Oliver Brière, Jocelyn Bruno, Léo Bureau-Blouin, Madwa-Nika Cadet, Claude Carignan, François-Olivier Chené, Dice B Cherenfant, May Chiu, Ryoa Chung, Moe Clark, Alexa Conradi, Lyndsay Daudier, Régine Debrosse, Nolywé Delannon, Nicolas Demers-Labrousse, Eric Denis, Rhodnie Désir, Catherine Dorion, Jean Dorion, Maya Dorvilie, Toula Drimonis, Ky Nam Le Duc, Martin Duchesneau, Laure Dunand, Joseph Elfassi, Sarah Elola, Martine Eloy, Karla Étienne, Nour Farhat, Madeleine B. Fawcett, Natasha Kanapé Fontaine, François Fournier, Solo Fugère, Amandine Gay, Julien Gagnon, Sonia Ghaya, Feven Ghebremariam, Fanny Guérin, Lynda Haddoud, Pharaoh Hamid-Freeman, Rosalind Hampton, Naïma Hamrouni, Azedine Hmimsa-Tijani, Asmaa Ibnouzahir, Eden D. Joseph, Myriam Joseph, Vanessa Kanga, Gracia Kasoki Katahwa, William Korbatly, David Koussens, Sandra Labissière, Ricardo Lamour, Abdelaziz Laaroussi, Audrey Licop, Michèle Vatz Laaroussi, Samira Laouni, Laurin Liu, Bebeto Ulrich Lonsili, Marlihan Lopez, Jocelyn Maclure, Parker Mah, Samer Majzoub, Bochra Manaï, Anastasia Marcelin, Stéphane Martelly, Maguy Métellus, Kerlande Mibel, Marjorie Michel, Viviane Michel, Dupuy Milhomme, Émilie Monnet, Monique Mujawamariya, Colin Musoni, Nargess Mustapha, Christian Nadeau, Gabriel Nadeau-Dubois, Jonathan Nicolas, Fo Niemi, Leslie Ningt, Mimoun Mohamed Nouredine, Andréanne Pâquet, Henri Pardo, André-Yanne Parent, Laurence Parent, Alice Pascual, Robints Paul, Eddy Pérez, Dominique Peschard, Elodie Postel, Alexandra Pierre, Maryse Potvin, Benjamin Prudhomme, Jérôme Pruneau, Benoit Racette, Désirée Rochat, Louis Rousseau, Nadia Rousseau, Shahad Salman, Mélanie Sarazin, Rim Sabrina Sassi, Michel Seymour, Mohamed Shaheen, Paul Shore, Maxime St-Juste, Julien Stout, Dania Suleman, Charles Taylor, Huoy Theam, Anne-Sophie Thommeret-Carrière, Eves Torres, Fabrice Vil, Marjorie Villefranche, Frantz Voltaire, Xavier Watso, Cathy Wong et Sameer Zuberi.

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