LIVRE NUMÉRIQUE

Le Canada anglais dit « yes »

Si la « révolution numérique » se fait attendre au Québec, le virage est plus marqué dans le reste du pays. Entretien avec Noah Genner, président-directeur général de Booknet Canada, un organisme à but non lucratif qui suit l’évolution de ce nouveau marché pour l’industrie canadienne du livre.

Le numérique a changé de façon importante l’industrie de la musique et des films, pour le meilleur et pour le pire. Quel est le portrait de la situation dans le marché anglophone du livre au Canada ?

Le numérique a changé le monde du livre canadien sur deux aspects fondamentaux. D’abord, les gens lisent différemment. Ensuite, les maisons d’édition se sont adaptées et ne travaillent plus de la même façon. De nouveaux outils permettent aujourd’hui aux éditeurs d’être plus présents pendant la rédaction des manuscrits, mais aussi de savoir comment les lecteurs lisent leurs ouvrages. Grâce à certains outils, nous pouvons maintenant savoir à quelle page les lecteurs abandonnent la lecture d’une œuvre. Cela nous laisse croire qu’on changera à terme la façon d’écrire en fonction de ce que les lecteurs veulent.

Ensuite, l’avènement du numérique a entraîné une démocratisation de l’écriture. C’est un changement important. Nous voyons de plus en plus d’auteurs qui s’autoéditent et s’autopublient, ce qui n’existait pratiquement pas avant. Aujourd’hui, certains d’entre eux connaissent même un certain succès commercial et génèrent des revenus. Le numérique permet de sauter certaines étapes imposées par le marché du livre traditionnel.

On entend souvent que le marché américain du livre a fait une place considérable à l’édition numérique. Est-ce le cas aussi au Canada anglais ?

C’est presque le cas. Actuellement, le numérique représente environ 20 % des ventes totales de livres au pays, alors qu’il se situe plutôt à 25 % aux États-Unis. Chez nos voisins, Amazon est l’incontournable qui a préparé la voie à l’avènement du livre numérique. L’entreprise est toutefois arrivée plus tard dans ce secteur, ici. C’est essentiellement ce qui explique, selon moi, le retard que nous accusons. Cela dit, si on s’attarde au marché francophone, je crois que la situation est différente. Le Québec et le reste du pays sont deux marchés distincts.

Quelles sont les tendances propres au numérique qui prendront de l’ampleur au cours des prochaines années ?

L’industrie comptera assurément davantage de nouveaux auteurs et petits éditeurs qui se concentreront exclusivement sur le numérique. Mais en outre, je crois qu’on assistera bientôt à l’arrivée au pays d’un nouveau service de « livres à volonté », c’est-à-dire de systèmes d’abonnements fondés sur le modèle de Netflix, où on donnera accès, moyennant un abonnement mensuel, à une importante banque de livres accessible en tout temps. Aux États-Unis, le géant à cet égard est l’application Oyster, qui donne accès à plus d’un million de titres pour environ 10 $ par mois. Selon moi, il s’agit d’une question de temps avant qu’un service similaire n’arrive sur le marché anglophone canadien.

Le Fonds du livre du Canada prend le virage numérique

Le ministère du Patrimoine canadien, qui gère le Fonds du livre du Canada, modifie les critères d’admissibilité de son volet Soutien aux éditeurs. Pour être admissibles, les maisons d’édition devront désormais avoir publié au moins un livre numérique d’un auteur canadien au cours de la dernière année, selon des documents obtenus par La Presse.

« Les changements décrits ci-dessous visent à positionner les livres d’auteurs canadiens pour la réussite dans un marché de plus en plus numérique et mondial, ainsi qu’à optimiser les avantages pour les Canadiens et les lecteurs de partout dans le monde », peut-on lire dans une lettre envoyée le mois dernier aux principaux bénéficiaires du fonds. Or, certaines maisons d’édition ne publient aucun livre numérique et ne désirent pas non plus le faire. Comme pour répondre à une éventuelle levée de boucliers chez certains acteurs de l’industrie, le document précise que le « Fonds du livre prendrait en considération une explication détaillée et écrite des éditeurs incapables de satisfaire à [cette nouvelle exigence]. Si le Fonds du livre accepte la justification, le demandeur pourrait satisfaire [aux nouveaux critères d’admissibilité] ».

La Presse a fait une demande d’entrevue au ministère du Patrimoine canadien afin de parler de vive voix avec un responsable du Fonds de cette nouvelle orientation. « Nous déclinons respectueusement votre demande », nous a répondu par courriel Tim Warmington, conseiller aux relations avec les médias. Nous avons aussi demandé, aux fins de ce dossier, à parler avec une personne responsable de l’édition numérique au Ministère. « Nous déclinons respectueusement votre demande d’entretien », nous a-t-on de nouveau répondu.

— Hugo Pilon-Larose, La Presse

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