Chronique : Québec solidaire

Comme une pastèque

« Prendre soin de not’monde et de la planète », tel est le mantra que répète Manon Massé, pour faire oublier l’étiquette de « marxiste » qu’elle s’est elle-même ingénument accolée dans une interview à la CBC.

Mme Massé avait dit la vérité – il suffit de lire le programme de QS pour le savoir – mais elle a vite compris – ou d’autres l’ont aidée à comprendre – qu’elle devait se rétracter.

Elle s’est donc prêtée avec beaucoup d’imagination au petit jeu politicien qui consiste à faire semblant qu’on n’a pas vraiment dit ce qu’on a dit.

Premier argument : l’interview fatale était en anglais et elle connaît mal la langue ! L’explication est invraisemblable, car Mme Massé s’est débrouillée assez correctement dans le débat en anglais, sans compter que les mots « socialiste » et « marxiste » sonnent pareil en français et en anglais.

Ensuite, elle joue l’innocente : « Je ne suis pas communiste ni aucun autre mot en "iste"… J’ai pas lu ça, tous ces livres-là. » On la croit sur parole quand elle dit qu’elle n’a pas lu tous les livres, mais enfin, le programme de QS ne compte que 92 pages… assez pour comprendre quel modèle de société propose son parti.

Autre argument, le plus drôle : « La preuve que je ne suis pas marxiste, c’est qu’il y en a un qui se présente contre moi ! »

Il est pourtant bien connu que le péché mignon des marxistes, c’est de se diviser en divers groupuscules qui se détestent mutuellement au nom de divers points de doctrine.

L’opération de rétropédalage a atteint un sommet lorsque Mme Massé a déclaré que son parti est « l’héritier » du PQ de René Lévesque. Quelle imposture ! Lévesque était l’incarnation même du libéral (avec un petit « l »), et il n’y a rien qu’il haïssait autant que l’extrémisme !

QS vise, à moyen terme, des nationalisations massives, un État omniprésent qui irait jusqu’à produire lui-même les médicaments mais consentirait à laisser « une certaine place » (sic) aux entreprises privées, notamment les PME de préférence autogérées, l’abolition des régimes de retraite privés, la rupture des traités de libre-échange, le retrait des alliances militaires comme l’OTAN, la semaine de 32 heures sans perte de salaire, et une pléiade de services gratuits dont on se demande bien comment ils seraient financés.

Il est ahurissant de voir un parti proposer un modèle économique qui a échoué partout où il a été essayé.

L’URSS et la Chine de Mao ont été les plus grands fiascos économiques du XXe siècle et ont fait des millions de victimes. En 1981, l’ancien président Mitterrand, qui était à l’époque allié aux communistes, a failli faire couler la France en nationalisant les banques. Il a dû virer capot en 1983. Les Cubains ne mangent pas à leur faim sans même pouvoir jouir de la liberté d’expression. La révolution vénézuélienne, qui a longtemps fasciné Amir Khadir, a provoqué l’émigration massive de Vénézuéliens à travers l’Amérique latine, produisant une « crise des migrants » d’aussi grande ampleur que celle de la Méditerranée.

QS est, en fait, une mixture de socialisme classique et d’écologie radicale… le tout sous l’emballage attrayant de l’environnementalisme. Tout comme une pastèque : verte en dehors, rouge en dedans.

Le parti utilise le problème (réel) de l’environnement pour amener les électeurs vers un modèle lourdement étatique qui s’inspirerait des préceptes de l’écologie.

Il y a une grosse différence entre le véritable idéal de QS et les préoccupations environnementales que partagent beaucoup de citoyens. Les environnementalistes modérés veulent agir, par l’incitation plutôt que par la coercition, contre la pollution, le gaspillage et les dérèglements climatiques.

L’écologie radicale est, au contraire, une idéologie dont le but est d’édifier une société en décroissance, qui bannirait les hydrocarbures (remplacés par l’électricité, l’éolien et la géothermie), nierait la prédominance de l’humain sur les autres espèces, limiterait la consommation et le transport individuel, éradiquerait le profit, promouvrait l’égalitarisme, la simplicité (volontaire ou non) et les régimes alimentaires végétaux pour protéger les animaux. Tant le programme que le plan de transition économique de QS s’en inspirent à divers degrés.

C’est un modèle de société qui nécessite des mesures autoritaires, car il est douteux que la population accepte de bon gré de révolutionner son mode de vie. Si QS est souverainiste, c’est essentiellement parce que l’appartenance au Canada empêche la réalisation de ce projet.

Pour ceux qui y croient, le projet de société de QS est un idéal emballant. On est bien libre de le promouvoir, puisque nous vivons dans une démocratie libérale où toutes les idées peuvent circuler (c’est le modèle que nous avons, et que QS souhaite abolir à terme).

Il n’y aurait rien d’illégitime à ce qu’il existe au Québec un parti écolo-marxiste. Mais il faut s’identifier clairement. Or, QS induit les électeurs en erreur lorsqu’il se présente comme le simple champion de la protection de l’environnement.

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